Les empereurs romains (3/4)

Le gouvernement des provinces

1 - L'Italie

Rome, selon diverses estimations, compte entre 450 000 et 600 000 habitants au IIIème siècle. Par contre, au milieu du IVème siècle il semble que la ville se soit dépeuplée et ne compte plus que 300 000-350 000 habitants. L'Italie, quant à elle, compte 7-8 millions d'habitants au IIème siècle, et est sans doute plus peuplée au sud qu'au nord.

1.1 - La ville de Rome

Les préfectures urbaines à Rome

Préfet de la Ville

C'est le préfet de police : il dispose de 4 cohortes urbaines (police de jour, surveillance des lieux publics, marchés et spectacles, etc.). C'est un très haut fonctionnaire civil, parvenu au sommet de la carrière sénatoriale (à Rome, second personnage après l'empereur).Administrateur, il est aussi juge civil et criminel et statue en dernier ressort sur les causes importantes que renvoient à sa décision les préfets de l'annone et des vigiles. Il finit par devenir le chef officiel de l'administration de la capitale, au détriment des édiles et des préteurs. Sa juridiction d'appel embrasse la ville de Rome et la zone des cent milles (diocesis Urbica : environ 150 kilomètres). Il connaît tout particulièrement les questions mettant en jeu des esclaves et des affranchis; il intervient dans les affaire de tutelle ou de curatelle, surveille les changeurs, les banquiers, les collèges professionnels. Célèbres préfets de la Ville : Fabius Cilo (204-212), Marius Maximus sous Macrin (217-218), Comazon sous Élagabal.

Préfet de l'annone

Il est responsable de l'approvisionnement de Rome. Des armateurs privés, les navicularii, assurent le transport, et bénéficient en contrepartie de certains avantages, comme l'immunité des charges publiques locales. Les denrées sont acheminées d'Ostie à Rome par les bateliers du Tibre (codicarii).La distribution est du ressort du préfet du praefectus frumenti dandi, un sénateur prétorien, qui officie au portique Minicius et fait remettre leur ration aux 180 000 personnes qui constitue la plèbe frumentaire (plebs frumentaria). Septime Sévère supprime ces préfets et transfère leurs attributions au curateur des eaux; ils sont rétablis pour peu de temps par Sévère Alexandre.

Préfet des vigiles

Il est chargé de la police nocturne, des incendies et de la surveillance de bains et des thermes. Il dispose de 7 cohortes de vigiles, une pour deux régions. Une antenne à Ostie assure la protection des produits de l'annone contre le vol et le feu. Les vigiles établis dans les postes de garde (excubitoria) font des rondes de nuit (sebaciaria).

Rome est administrée selon les dispositions établies par Auguste. Elle est divisée en 14 Régions, dont chacune est placée sous l'autorité d'un magistrat tiré au sort (préteur, édile ou tribun de la plèbe). Au départ, les magistrats gardent l'ensemble de leurs fonctions urbaines : édiles pour la voirie, les travaux publics, le service des eaux, le service d'incendie, la police, l'alimentation et les jeux; questeurs pour la gestion de l'aerarium.

Cependant, ils ne sont plus seuls à exercer ces fonctions, et leur histoire administrative, au cours des trois premiers siècles, est celle de leur décadence ininterrompue face aux créations impériales : préfectures et commissions exécutives, avec des fonctionnaires nommés par le prince. Les divers curateurs (du lit du Tibre, des eaux, des édifices sacrés, des bâtiments publics) ne sont pas des techniciens, mais les responsables politiques des services qu'ils dirigent.

Les curatelles de la ville de Rome

Curatelle des eaux

La cura aquarum est créée par Auguste et composée de 3 membres de l'ordre sénatorial. La Curatelle des eaux a en charge l'entretien du réseau des aqueducs. Après la suppression des praefecti frumenti dandi par Septime Sévère, le curateur des eaux est chargé des frumentiones, et prend le titre de curator aquarum et Miniciae. Un adjoint équestre, le praefectus Miniciae, a la charge matérielle des distributions.

Curatelle des édifices publics

Créée sous Auguste, la Cura operum publicorum est confiée à 2 membres de l'ordre sénatorial et chargée de l'entretien des édifices publics profanes (thermes, arcs de triomphe, théâtres...).

Curatelle des édifices sacrés

La Cura aedium sacrarum est chargée de l'entretien des édifices religieux.

Curatelle du lit du Tibre

La Cura alvei Tiberis, créée sous Tibère, est confiée à 5 curateurs sénatoriaux. Ils sont assistés par des procurateurs équestres qui deviennent permanents au IIeme siècle. Trajan élargit les attributions de la commission du Tibre en y ajoutant l'entretien des égoûts (cura alvei Tiberis et cloaracum sacrae Urbis).

1.2 Le jus italicum

L'Italie doit être juridiquement tenue pour une extension de Rome. On y retrouve les mêmes organes administratifs et la même dualité de pouvoirs entre le Sénat et les anciennes magistratures, et les nouveaux organes créés par Auguste. Administrativement, l'Italie est censée dépendre des magistrats et du Sénat, mais les cités jouissent en fait d'une très large autonomie, que les empereurs ont pour l'essentiel respectée. L'Italie a ainsi plusieurs privilèges administratifs séculaires:

1.3 - L'administration de l'Italie

Les voies de circulation Le service de la voirie italienne (cura viarum) est créé par Auguste et confié à des curateurs d'ordre sénatorial ou équestre, en général prétoriens, à raison d'un curateur pour deux ou trois routes adjacentes. Certaines subdivisions de l'administration fiscale ou domaniale sont établies selon le même schéma. C'est aussi le cas du service des pensions alimentaires, les alimenta, qui sont des fondations charitables, des sortes de caisses de secours accordant à la paysannerie italienne des prêts à faible taux d'intérêt.

- Divisions administratives - Auguste divise l'Italie en 10 régions sans réelle consistance administrative.

Hadrien cherche à en confier l'administration à 4 consulaires, parmi lesquels le futur empereur Antonin le pieux (138-161) qui, une fois arrivé au pouvoir, abandonne une réforme désagréable au Sénat.

Marc-Aurèle instaure les juridici. Ce terme signifie littéralement «qui dit le droit», et implique que ces fonctionnaires, sénateurs de rang prétorien, ont des compétences d'ordre judiciaire, peut-être pour les procès en appel. Ils les exercent dans des ressorts aux limites changeantes et fréquemment remaniées, bien que l'on note des associations stables, comme la Vénétie et l'Istrie au nord-est, ou l'Apulie et la Calabre dans le sud, et la Transpadane dont les limites ne varient pas.

Il semble que Caracalla ait eu le projet de réformer le statut juridique de l'Italie, peut-être dans le but d'y introduire l'impôt foncier. Le projet est abandonné après sa mort.

- L'institution des correcteurs - Une troisième étape est l'institution des correcteurs italiens au début du IIIème siècle. Le premier, sous Caracalla, reçoit la mission d'apporter à l'Italie les «corrections» nécessaires. Un second correcteur du même genre exerce ces fonctions à la fin du règne de Gallien, ou au début de celui de Claude II. Ces nouveaux fonctionnaires ont des pouvoirs analogues à ceux des gouverneurs impériaux.

Aurélien fait de la correcture une fonction permanente. Malgré leur titre de correcteurs d'Italie, ils sont attachés à une région précise; il n'y en pas pas non plus pour chacune des 11 régions.

2 - Les provinces

L'administration des provinces sénatoriales et impériales

Provinces sénatoriales

Provinces impériales

Titre

Proconsul

Légat d'Auguste propréteur : provinces à légats

Procurateur : provinces procuratoriennes

Préfet : Égypte et Mésopotamie

Gouverneurs

Sénateurs prétoriens ou consulaires (Asie et Afrique)

Sénateur consulaire dans les provinces à légats avec 2 ou 3 légions

Sénateur prétorien dans les provinces à légats avec 1 légion

Chevalier dans les provinces procuratoriennes

Chevalier de rang plus (Égypte) ou moins (Mésopotamie) élevé

Durée

1 an : du 1ier juillet au 30 juin. Il peut être prorogé dans ses pouvoirs 2 ou 3 ans.

Nommés pour une durée indéfinie, et généralement maintenus 5 ans

Désignation

Tirage au sort parmi les prétoriens ou consulaires sortis de charge depuis au moins 5 ans. Un proconsul peut être désigné sans passer par le sort (extra sortem)

Nommés par l'empereur

Attributions

Civiles surtout : justice, assisté par 1 (prétoriens) 2 ou 3 (consulaire d'Asie) légats qu'il choisit avec l'assentiment du prince. Ces légats, en général prétoriens mais parfois consulaires, peuvent assurer l'intérim du proconsul si celui-ci est empêché.

Imperium complet : judiciaire, administratif et militaire.

Impôts

Ils sont perçus par le questeur de la province et alimentent le Trésor Public, dit de Saturne. Un procurateur gère les biens du prince. En Sicile, il y a deux questeurs.

Le produit de l'impôt va au fiscus. Le procurateur des finances dirige l'ensemble de l'activité économique, avec l'aide de procurateurs spécialisés.

En 192, il y a 44 ou 45 provinces. En 211, il y en a 48, qui réunissent, suppose-t-on, environ 50 millions de personnes. L'Empire romain compte 40 000 kilomètres de frontières, dont 9 000 kilomètres de frontières terrestres. Il fait 4,5 millions de km². La croissance est continue des débuts de l'Empire jusqu'en 138. À mesure que le temps passe, on va vers une fragmentation des provinces et donc une diminution de leur taille. Pour Septime Sévère, c'est une nécessité politique : on réduit d'autant la puissance d'un gouverneur de province importante; il divise donc la Bretagne, d'où était parti Clodius Albinus, et la Syrie, d'où venaient Avidius Cassius et Pescennius Niger.

L'Empire est caractérisé par des oppositions entre les provinces :

Dans les faits, certaines provinces ont préséance sur les autres : c'est le cas de l'Afrique et de l'Asie sénatoriales proconsulaires, de l'Égypte, propriété de l'Empereur, des Pannonies et des Germanies, où sont les armées les plus puissantes et les mieux entraînées.

La superficie et la population des provinces sont très inégales, car il ne s'agit pas à l'origine d'unités administratives taillées sur le même modèle, mais d'anciens royaumes ou d'anciennes nations dont la personnalité historique survit à leur annexion par Rome. La marque de la sujétion des provinces est l'impôt (tributum), conçu comme une indemnité de guerre perpétuelle. Le sol provincial est soumis au tribut (tributum soli), et les hommes à la capitation (tributum capitis).

2.1 - Les provinces sénatoriales

Par le partage de 27 avant J.-C., les provinces sont divisées en deux catégories, les provinces sénatoriales et les provinces impériales. Les provinces sénatoriales sont les provinces pacifiques dont le Sénat conserve l'administration. Des mouvements ont lieu : la Bétique et la Lycie-Pamphylie passent à l'Empereur sous Marc Aurèle.

Les provinces sénatoriales au IIème siècle après J.-C.

Province

Gouverneurs

Création

Capitale

Langue

Bétique

Prétoriens

IIème avt.

Corduba

Latin

Narbonnaise

Prétoriens

IIème avt.

Narbo

Latin

Sicile

Prétoriens

IIIème avt.

Syracuse

Latin

Afrique

Consulaires

IIème avt.

Carthage

Latin

Achaïe

Prétoriens

IIème avt.

Corinthe

Grec

Macédoine

Prétoriens

IIème avt.

Thessalonique

Grec

Asie

Consulaires

IIème avt.

Éphèse

Grec

Lycie-Pamphylie1

Prétoriens

Myra

Grec

Chypre

Prétoriens

Ier avt.

Paphos

Grec

Crète-Cyrénaïque

Prétoriens

Ier avt.

Gortyn

Grec

1 Au départ impériale, cette province devient sénatoriale lorsque Marc Aurèle l'échange contre le Pont-Bythinie, qui devient impérial.

Les gouverneurs des provinces sénatoriales sont pris dans le Sénat, à divers degrés de la hiérarchie. Les consulaires (Asie et Afrique) ont droit à 12 licteurs, les prétoriens à 6. Mais leur titre, leur mode de nomination et leurs attributions sont les mêmes :

Cependant, par son imperium proconsulaire, l'empereur possède un droit de regard sur ces provinces; cela se traduit, le cas échéant, par une intervention plus ou moins discrète dans le choix des gouverneurs (proconsul désigné sans passer par le sort, extra sortem) et sur le terrain judiciaire, par l'exercice permanent du droit d'appel. Sévère Alexandre dresse lui-même la double liste consulaire et prétorienne des candidats aux provinces sénatoriales; dans chacune des catégories, les candidats tirent au sort entre eux les provinces.

La dernière étape mène à la nomination pure et simple par le pouvoir impérial. C'est sans doute l'oeuvre de Gallien, qui par l'édit de 262 exclut les sénateurs du gouvernement des provinces impériales (ils sont exclus des gouvernement s militaires). La mesure qui transfère à l'empereur la nomination directe des gouverneurs de provinces sénatoriales répond au même esprit. Devant la menace des invasions, il faut défendre le territoire et donc armer les provinces du centre, inermes. Gallien transforme donc toutes les provinces en provinces impériales. Tacite abroge ces mesures, mais Dioclétien met fin au renouveau sénatorial.

2.2 - Les provinces impériales

Les provinces impériales, les plus nombreuses, sont celles où stationnent les troupes, dont l'empereur se réserve personnellement le gouvernement. Les gouverneurs, quel que soit le statut de la province, qu'ils soient sénateurs ou chevaliers, portent des titres indiquant qu'ils sont les représentants personnels et exclusifs du prince : légats, procurateurs ou préfets.

- Recrutement et statut des gouverneurs - Les gouverneurs des provinces impériales sont recrutés, comme ceux des provinces sénatoriales, au sein du Sénat, dans les ordres consulaire et prétorien. En revanche, leur statut est radicalement différent :

- Les provinces à légats - La plupart des provinces sont administrées par des légats d'Auguste propréteur (legati Augusti pro praetore), choisis parmi les sénateurs, de rang consulaire ou prétorien selon le nombre de légions que compte la garnison provinciale. La règle veut en effet que les provinces qui possèdent 2 ou 3 légions soient confiées à un légat consulaire, et que celles dont la garnison ne dépasse pas une légion aient un légat prétorien.

Dans les provinces prétoriennes, le légat exerce également le commandement de l'unique légion, tandis que, dans les provinces consulaires, chaque légion a son légat particulier, y compris en Tarraconaise, qui ne compte qu'une légion.

- Les provinces procuratoriennes - Ce sont des provinces considérées comme trop petites, trop pauvres ou trop rudes pour êtres confiées à un sénateur. Elles correspondent souvent à des régions montagneuses, peuplées ou entourées de populations mal soumises qui nécessitent la présence de troupes, mais non d'effectifs légionnaires. L'empereur y envoie des chevaliers romains portant le titre de procurateur (procuratores jure gladii), et cumulant tous les pouvoirs, administratifs, militaires et financiers. Il y en a plusieurs, de création échelonnée :

- Égypte et Mésopotamie - Dès les origines, l'Égypte a été considérée comme le domaine personnel du prince et entièrement soustraite à toute intervention du Sénat ou de ses membres. Tous les fonctionnaires supérieurs sont des chevaliers romains. Le préfet d'Égypte (praefectus Aeypti) est un très haut fonctionnaire qui occupe le deuxième rang dans la hiérarchie des dignités équestres après le préfet du prétoire. Ses pouvoirs sont ceux d'un vice-roi et embrassent tous les secteurs de la vie publique :

Au niveau local, le pays est traditionnellement divisé en nomes, dirigés par des stratèges (sans pouvoir militaire) et regroupés en épistratégies. Tous les fonctionnaires sont recrutés parmi la population grecque, car les Romains ne fournissent que l'encadrement supérieur.

Septime Sévère s'inspire du modèle égyptien quand il organise la Mésopotamie. À la tête de la province, on trouve un préfet de Mésopotamie, d'un rang inférieur à celui d'Égypte, et des préfets équestres qui commandent semblablement les légions Ière et IIIème Parthiques. Nisibe (annexée en 195) et Carrhes (annexée en 213) ont le statut de colonie romaine.

Dénominations grecques et latines

Capitales

caput provinciae

metropolis

Provinces

provincia

eparcheia

Circonscriptions

conventus

Diocèses

Villes

civitates

poleis

Districts

vici, pagi

kômai

Conseil

ordo

boulè

Magistrats locaux

Magistrats

Archontes

Sénateurs locaux

Décurions

Bouleutes

décrets

decreta

psèphismata

«comptables impériaux»

Curateurs de cité

Logistes

Charges municipales

munera

Liturgies

«communauté»

commune

koinon

Assemblée provinciale

concilium

koinoboulion

Président de l'assemblée

sacerdos, flamen

arhiérus

2.3 - Les fonctions des gouverneurs

Le développement de la pratique du vicariat Quand un gouverneur provincial se trouve, pour une raison quelconque, dans l'incapacité temporaire ou définitive de remplir ses fonctions, l'empereur désigne un suppléant pris dans le personnel administratif de la province. Dans une province sénatoriale, l'intérim est généralement assuré par un légat du proconsul ou par un questeur, dans les provinces impériales, par un procurateur.

Or, on voit se développer la pratique du vicariat, avec un nombre élevé de chevaliers qui sont dits vices praesidis agens, «agissant à la place du gouverneur»(Par exemple, dans le marbre de Thorigny, trois gouverneurs successifs de la lyonnaise sont mentionnés, entre 218 et 223 environ. Deux d'entre eux sont des chevaliers «faisant office de gouverneur»). Dans bien des cas il est clair que ce vicariat n'est qu'un trompe-l'oeil, destiné à sauvegarder les règles administratives, et que le chevalier a été directement nommé au poste de gouverneur que son rang social lui interdit théoriquement d'occuper.

Timésithée, futur beau-père et préfet du prétoire de Gordien III. Son cursus se déroule de Caracalla à Maximin le Thrace. Il exerce des vicariats provinciaux, au cours desquels il remplace 4 gouverneurs sénatoriaux, dont un prétorien et trois consulaires. C'est un familier de longue date des Sévères, qui a la confiance de Sévère Alexandre et de Julia Mammaea.

Ces tendances, qui apparaissent à l'époque sévérienne, tendent à s'accentuer à partir des années 240-250, annonçant ainsi les réformes de Gallien.

Au cours du IIIème siècle, le titre de praeses se généralise également pour désigner les gouverneurs.

2.4 - Évolutions de l'administration provinciale

On observe sous les Sévères une tendance à l'augmentation du nombre de provinces, pour deux raisons. Tout d'abord il y a l'adjonction de territoires nouveaux (Osrhoène, Mésopotamie). Surtout, des provinces existantes sont divisées : Bretagne, Syrie, peut-être Crète-Cyrénaïque, ou partiellement démembrées (Cappadoce et Galatie donnent le Pont). Ces provinces (ce n'est pas clair pour la Cyrénaïque) reçoivent des gouverneurs équestres, ce qui indique la part croissante des chevaliers dans le gouvernement.

Les ensembles supra-provinciaux Jusqu'en 285 ils n'existent pas sur le plan institutionnel. C'est en revanche une réalité militaire. Il y a un seul cas de structure supra-provinciale reconnue : ce sont les Trois Gaules, avec une organisation commune à Lyon, le conseil annuel des Trois Gaules (concilium) C'est lui qui organise en 177 la persécution des chrétiens à Lyon. Ce conseil est compétent en cas de plaintes contre les gouverneurs de l'une des trois provinces.

3 - L'administration locale

3.1 - Capitales de province et subdivisions

Aucun texte ne donne la notion de capitale de province, même s'il y a une ville principale. La capitale est le siège des services du gouverneur, qui est très mobile. Dans les provinces militaires, la capitale est souvent aussi le camp d'une des légions.

La capitale se dit caput provinciae en latin, metropolis en grec. C'est le terme le plus fréquent, mais il ne désigne pas forcément le siège administratif. Eburacum (York), sous Septime Sévère, a un statut de simple municipe, et ne devient colonie romaine qu'en 237.

Les capitales sont souvent excentrées :

La province est elle-même subdivisée à divers échelons, et différemment selon les provinces :

Cette hiérarchie est stricte quand les villes ont un statut juridique fixe. C'est plus flou quand elles n'ont pas ce statut.

3.2 - La hiérarchie des cités

Rome a rencontré en Orient (sauf en Égypte) une vie municipale active. En Occident, elle la suscite sur le modèle des municipes italiens et des colonies fondées dans les provinces. Rome ne recourt pas à la contrainte, mais à une savante gradation du statut des communes provinciales, les plus romanisées par les moeurs et les institutions recevant des droits plus avantageux :

Les municipes et le droit latin en général constituent une simple transition vers le régime de la civitas Romana, dont les successeurs d'Auguste se montrent peu avares.

La Constitution antoninienne (édit de Caracalla) «donne à tous les pérégrins le droit de la cité romaine, en sauvegardant le droit des cités, sauf pour les déditices». C'est cet édit qui donne le droit de cité à tous les habitants, sauf pour les femmes et les esclaves.

Cette mesure n'a rien de révolutionnaire, car la citoyenneté romaine était déjà très répandue. L'édit facilite le recrutement et élargit l'assiette de certains impôts réservés aux citoyens. L'Italie ne garde plus que son privilège fiscal, partagé avec d'autre territoires.

Les cités gardent le droit d'utiliser leurs droits traditionnels en matière de juridiction civile, de mariage, etc. Les différences entre droits locaux et types de cités tendent à s'atténuer dans la pratique. Les déditices sont exclus de ce maintien des droits des cités, mais ils reçoivent quand même la citoyenneté romaine. Les déditices comprennent trois grandes catégories :

  1. Les anciens barbares devenus pérégrins, qui ont résisté les armes à la main;

  2. Les affranchis illégaux, dits aussi latins juniens. Ce sont les lois d'Auguste qui fixent les conditions de légalité. Sont illégaux les affranchissements faits par testament de plus de 100 esclaves à la fois, et ceux d'esclaves de moins de trente ans.

    Ces affranchissements ne sont pas frappés de nullité; cependant les affranchis ne deviennent pas citoyens mais latins juniens;

  3. Les affranchis qui ont subi des peines infamantes quand ils étaient esclaves.

Du temps de la Constitution antoninienne, la première catégorie a disparu, mais la seconde non. Les déditices sont des hommes libres qui ne sont pas citoyens romains. Ils ne disparaissent qu'au VIème siècle.

3.3 - Les institutions et les élites locales

Il y a une unité de la province avec pouvoir du haut vers le bas pour les questions militaires et fiscales, sur les biens impériaux et en cas de troubles. Pour le reste, le pouvoir va de bas en haut.

À l'échelon local, l'Empire se présente donc un peu comme une fédération de multiples civitates (poleis en grec), dont chacune possède un territoire, un centre urbain et des institutions. Pour peu que celles-ci se rapprochent du modèle courant et que les moeurs se romanisent (ou s'hellénisent), la cité reçoit le droit latin ou même romain avec le titre de colonie honoraire. Tel est le cadre où se recrutent la bourgeoisie municipale. En sont exclus :

Parmi ceux qui jouissent du droit de cité local se dégage une élite de la fortune, essentiellement de riches propriétaires, mais aussi les négociants et artisans les plus aisés. Il y a aussi une élite de la culture : bonne connaissance de la langue grecque ou latine, résidence et moeurs urbaines. Mais le critère essentiel, qui suppose les deux précédents réunis, est l'accès aux honores municipaux : désignation aux magistratures locales puis entrée dans le sénat des décurions.

Il n'y a sans doute d'ordo decurionum que sur le plan local. Mais les conditions de cens (100 000 sesterces en général), le cursus imposé, les honneurs prodigués sont suffisamment harmonisés pour qu'on puisse parler d'un ordre décurional semi-officiel dans tout l'Empire, ouvert par le haut sur l'ordre équestre, et délimité à sa base par le corps des Augustales (riches affranchis ou ingénus (Ingénus : individus nés libre, c'est-à-dire dont les deux parents étaient libres, et qui n'a jamais cessé de l'être légalement. Il s'oppose donc au libertinus, affranchi ou fils d'affranchi. Il semble que, dès le début de l'Empire, la société, en réaction contre les affranchissements, ait tendu à ne considérer comme vraiment ingénus que ceux qui avaient, avant eux, deux générations libres) désireux de promotion sociale, qui sont chargés du culte impérial dans l'attente des honores municipaux). On observe une évolution vers une hérédité de fait des charges municipales.

- Les institutions municipales - Les citoyens des colonies et des municipes élisent des magistrats annuels qui assument l'autorité locale sous la tutelle de l'autorité romaine; cela inclut la juridiction primaire et le maintien de l'ordre par des milices. Les magistrats sont souvent appelés archontes en Orient. Ils exercent le pouvoir exécutif, détenant la postestas, c'est-à-dire le pouvoir administratif. Dans les cités occidentales prévaut le modèle romain, avec un cursus, mais sans rencontrer, à l'échelon locale, la préture ni le consulat.

Les attributions des magistrats supérieurs appartiennent aux deux «duumvirs chargés de dire le droit» (duumviri jure dicundo), investis de pouvoirs de police et de justice. Tous les cinq ans, les duumvirs ajoutent à leurs fonctions habituelles le recensement des personnes et des biens, à l'instar des censeurs de Rome; ils prennent alors le nom de duumvirs quinquennaux (duumviri quinquennales), et dressent l'album des décurions. En Orient, la diversité des charges municipales est extrême, en raison de la richesse des traditions poliades dans le monde grec.

Le conseil (ordo, en grec boulè) rassemble les décurions ou bouleutes en nombre très variable selon les localités, de quelques dizaines à plusieurs centaines (600 à Athènes au début du IIIème siècle). Il délibère sur proposition des magistrats et votent des décrets (decreta, en grec psèphismata). D'autre part, le conseil veille sur la vie religieuse, désignant les prêtres et fixant le calendrier des fêtes. Il a la haute main sur les finances locales, et dans bien des cités procède lui-même à l'élection des magistrats.

Dans les cités grecques, à côté de la boulè, il existe souvent une instance appelée gerousia, ou «conseil des anciens», aux attributions mal définies et peut-être surtout honorifiques. Athènes a conservé son Aréopage, où siègent les anciens archontes.

- Munera et liturgies - Les munera (en grec liturgies) consistent en prestations diverses, en services ou en argent, imposées par la cité à un notable. Certaines tâches incombant à des magistrats deviennent aisément des munera si les fonds civiques ne suffisent pas. Au nombre des munera, on range les charges «personnelles» : ambassades, défense de la cité en justice, responsabilité de travaux, constructions, achat de blé ou d'autres denrées à l'extérieur.

Les charges «patrimoniales» sont en fait des impôts répartis en fonction de la fortune, acquittés sous forme de prestations, comme le logement des gens de guerre, la fourniture d'animaux et de charrois pour le cursus publicus. Il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre les deux types de charges.

- L'évergétisme - Est évergète celui qui, de son plein gré, fait preuve de libéralité envers la cité toute entière, ou un élément constitutif de celle-ci, un collège par exemple. Cette dimension civique est essentielle et distingue l'évergétisme d'autres formes de générosité. Les dons prennent des formes très variées : distributions d'argent, banquets, spectacles, construction de monuments, don d'éléments de décoration (statues, mosaïques), prise en charge de dépenses que la cité ne peut assumer.

L'évergétisme contribue ainsi au maintien du mode de vie civique, à un niveau qui peut paraître disproportionné avec la richesse réelle des cités. L'émulation entre évergètes et cités se donne ici libre cours. Le peuple des cités appréciait ce comportement qui lui assurait, de façon ponctuelle et aléatoire, une certaine qualité de vie. L'évergète agit pour affirmer sa position sociale dans le groupe des dirigeants, par rapport à ses propres parents qu'il a à coeur de surpasser. Il aspire à une forme d'immortalité.

- Corporations et collèges - Les associations constituées sur une base professionnelles sont les mieux connues. Elles rassemblent des négociants en produits divers (vin, huile...), des transporteurs par voie fluviale (nautes) ou maritime (naviculaires), de travailleurs manuels, les fabri (ouvriers de la pierre et du bois), etc. Les affranchis y sont nombreux. D'autres confréries ont plutôt une base religieuse, ou présentent un caractère funéraire. Ces collèges assurent à leurs membres une certaine dignité personnelle, par l'organisation de repas en commun, et surtout la prise en charge des obsèques et l'observance des rites funéraires que de très petite gens pouvaient craindre de voir négliger (plébéiens pauvres, esclaves).

Il existe aussi des organisations de jeunesse, qui participent à des fêtes civiques (juvenalia) et se livrent à des exercices simulant la guerre. Ce ne sont pas, semble-t-il, des groupements d'honestiores, même si leur encadrement est assuré par de jeunes notables.

Quelle que soit leur finalité, ces associations sont organisées à l'image des cités. Elles ont leur caisse, que gère un questeur, leurs magistrats quinquennaux, elles votent des décrets, honorent des évergètes et se choisissent des patrons. Les collèges sont bien intégrés dans la vie urbaine. Ils regroupent la partie de la plèbe qui a des activités stables, lui permet de participer à la vie civique et constituent un relais entre la masse et les autorités.

Un collège joue un rôle particulier. Il s'agit des sévirs augustaux, dont la vocation est de célébrer le culte impérial. Au nombre de six, ils se recrutent parmi les riches affranchis. On attend d'eux qu'ils se comportent en évergètes. Ils n'ont pas accès à l'ordo de leur cité, mais peut exceptionnellement recevoir les ornements du décurionat. Ils représentent ainsi l'élite de la plèbe et peuvent préparer à leur descendance l'accès à la notabilité.

3.4 - Les assemblées provinciales

Les assemblées provinciales sont un élément essentiel de la vie politique et sociale des provinces. Elles permettent aux élites locales de se sentir associées à leur propre gouvernement. Souvent antérieures à l'Empire, elles traduisent le sentiment d'identité d'une «communauté» (commune, en grec koinon), disposant d'institutions et de cultes fédéraux, centrés autour du culte de l'empereur et des divi, associés à la Dea Roma.

Les limites de ces communautés ne se confondent pas obligatoirement avec les limites provinciales : en Orient, où les découpages provinciaux regroupent souvent plusieurs peuples, on assiste à la multiplication des koina. Celui d'Asie, le plus important de tous, coïncide avec la province proconsulaire. En revanche, en Lycie-Pamphylie, il y a un koinon pour chaque moitié de la province. Le koinon du Pont rassemble apparemment des cités appartenant à trois provinces différentes (Pont-Bythinie, Galatie et Cappadoce).

Les délégués des villes appartenant à ces communautés se réunissent chaque année en un conseil fédéral (concilium, koinoboulion) pour célébrer le culte de Rome et d'Auguste. Elles désignent pour l'année suivante un président, qui dirige les séances et célèbre les cérémonies; il est sacerdos dans les Gaules et en Afrique, flamen en Narbonnaise et en Bétique, archiérus (grand-prêtre) dans les provinces grecques. Il a donc essentiellement des fonctions religieuses: célébrer le culte impérial, mais aussi des fonctions profanes (organiser des réjouissances, combats de gladiateurs, etc.) qu'il finance à ses frais. Une libéralité du prince peut venir seconder l'évergétisme du notable.

Le Conseil des Trois Gaules (concilium trium Galliarum): depuis 12 avant J.-C., une soixantaine de cités de la Lyonnaise, de l'Aquitaine et de Belgique envoyent leurs délégués à Lyon où chaque année l'Assemblée se réunit le 1ier août sur les pentes de la Croix-Rousse.

Les assemblées exercent au IIème siècle un certain droit de regard sur la gestion du légat ou du proconsul sortant de charge, et peuvent jouer le rôle d'un organe de représentation des intérêts locaux. Il faut préciser que l'État romain ne leur reconnaît aucun pouvoir délibératif; il admet simplement qu'elles expriment leur opinion par une motion de félicitations, qui peut être un éloge enthousiaste mais aussi formuler des critiques sous la forme d'un blâme, voire engager des poursuites, comme le fait le concilium de Bétique à l'encontre du proconsul Classicus, au début du règne de Trajan. Le Marbre de Thorigny nous apprend comment peut être déclenchée une telle procédure.

Il ne faut pas exagérer la portée d'un tel contrôle, forcément limité par les relations personnelles entre les bourgeoisies provinciales, seules présentes dans les concilia, et les gouverneurs. Du moins le princeps, qui reste maître des suites à donner aux plaintes, a-t-il là un moyen de stimuler le zèle des administrateurs tout en complaisant aux administrés par son apparent libéralisme. D'autres moyens sont à la disposition des administrés pour s'adresser au prince :


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Suite :
Empereur - L'empereur à Rome (tiré du site Historama, fermé)
Empereur - L'organisation administrative (tiré du site Historama, fermé)
Empereur - Le gouvernement des provinces (tiré du site Historama, fermé)
Empereur - Les réformes de Dioclétien (tiré du site Historama, fermé)

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