Dioclétien instaure la tétrarchie : chacun des deux Augustes est assisté d'un César, et l'Empire est partagé entre Orient et Occident. C'est un système de gouvernement décentralisé, dans lequel quatre empereurs se répartiraient territorialement les tâches sans pour autant porter atteinte à l'unité impériale. Il met progressivement ce système en place :
284 : Dioclétien, officier dalmate, est proclamé Auguste;
286 : Maximien devient Auguste en Occident;
287 : Dioclétien et Maximien prennent respectivement les titres de Jovius et Herculius, symboles de filiation et donc de hiérarchie;
293 : Maximien prend pour César son ancien préfet du prétoire, Constance Chlore, qu'il charge de la Bretagne et de la Gaule. Peu après Dioclétien fait de même pour Galère, son gendre, qui devient responsable de la péninsule balkanique. Constance réside à Trêves, Maximien à Milan, Galère à Sirmium et Dioclétien à Nicomédie.
Les débuts de la tétrarchie
Année
Occident
Orient
Auguste
César
Auguste
César
(Milan)
(Trêves)
(Nicomédie)
(Sirmium)
293
Maximien
Constance Chlore
Dioclétien
Galère
305
Constance Chlore
Sévère
Galère
Maximin Daïa
Le caractère sacré du pouvoir se manifeste par un cérémonial impressionnant. Dioclétien ajoute au diadème d'Aurélien le manteau brodé de pierreries, il exige le rite de l'adoratio (baiser au bas du manteau impérial), célèbre le jour de son investiture comme dies natalis, jour où il est né à la divinité en sa fonction.
Avec Constantin, l'origine divine du pouvoir s'affirme sans ambages. On a pensé que les sympathies du souverain pour l'arianisme venaient du fait que cette hérésie, en faisant du Fils un être intermédiaire entre le Père et les créatures, délimitait la place et le rôle de l'empereur lui-même. Il faut souligner que la divinisation affecte la fonction et non la personne de l'empereur. Mais en pratique, tout ce qui l'approche ou le touche est sacré, et le sacrum palatium devient le centre de rites solennels, dont plusieurs sont hérités des basileis hellénistiques ou empruntés aux monarques sassanides.
Après l'abdication conjointe de Dioclétien et Maximien en 305, l'Empire a comme Augustes Constance Chlore et Galère. Constance Chlore meurt en 306, lui succède Constantin Ier, son fils, en concurrence avec Maxence.
Sévère est nommé Auguste par Galère et gouverne l'Italie et l'Afrique; il est vaincu par Maxence et meurt en 307. Galère meurt en 311, après un édit de tolérance. En 312, l'empire est dirigé par quatre Augustes :
Galère, Auguste légitime en Orient; il est battu par Maxence, et meurt en 311;
Maximin Daïa à Nicomédie, proclamé Auguste en 307 par ses soldats ; il est vaincu par Licinius en 313 et s'empoisonne;
Sévère : Devenu normalement Auguste après la mort de Constance Chlore, Constantin s'impose à lui comme César. Sévère est tué par Maxence;
L'usurpateur Maxence à Rome, fils de Maximien, élu Auguste à Rome par les prétoriens à la mort de Constance Chlore en 306. Il repousse les armées de Sévère et de Galère et établit son autorité sur l'Italie et l'Afrique. Il est vaincu par Constantin le 28 octobre 312 au pont Milvius.
Licinius à Smirnium (Pannonie et Rhétie); unis contre Maxence, lui et Constantin sont seuls maîtres de l'Empire en 313. Ils se mettent d'accord en février 313 à Milan sur une politique de tolérance générale du christianisme (édit de Milan). Licinius est maître de l'Orient; les relations entre les deux empereurs se tendent rapidement, car Constantin se montre de plus en plus favorable aux chrétiens, tandis que Licinius se met à les inquiéter. Licinius est vaincu par Constantin en 324;
Constantin, fils de Dioclétien, dans le reste de l'Occident, est élu Auguste par ses légions en 306. Il est seul maître de l'Empire romain en 324, et associe ses trois fils au trône.
Les évolutions, amorcées dès l'époque sévérienne, tant la multiplication des provinces que l'éviction des sénateurs de leur gouvernement, atteignent leur terme sous Dioclétien. Le nombre des provinces passe d'une cinquantaine vers 250 à plus de 100 au début du IVème siècle : la Liste de Vérone (Laterculus Veronensis), rédigée vers 312-313, en énumère 95, mais elle est incomplète. C'est une refonte de la géographie provinciale et la disparition des grandes provinces :
L'Italie est ramenée au droit commun et divisée en 7 ou 8 régions (regiones) dirigées par un corrector d'ordre sénatorial. Dans le cadre de la réorganisation générale de l'Empire, la péninsule forme avec la Sicile, la Sardaigne et la Corse le diocèse d'Italie, une des parties de la préfecture d'Italie (qui comprend les diocèses d'Italie, de Pannonie et d'Afrique).
Dioclétien procède également à l'abolition du privilège financier de l'Italie : elle doit désormais acquitter l'impôt foncier. Les non-propriétaires doivent désormais payer la capitation, comme dans le reste de l'Empire. Constantin exempte de la capitation la population de Rome.
Les provinces sont systématiquement fragmentées en petites unités. Il y avait 48 provinces en 211, il y en a 98 en 314. Elles sont de dimensions homogènes, mais plutôt plus petites en Orient qu'en Occident. Lactance accuse Dioclétien d'avoir «coupé les provinces en rondelles». En Gaule et Germanie, on compte 13 provinces au lieu de 6, chacune des provinces du Haut-Empire étant divisée en deux ou trois, sauf la Germanie inférieure.
L'Égypte et le Norique sont partagés en 311-313. La Thrace est coupée en quatre, l'Asie en sept. Une vingtaine de provinces sont coupées en deux. Seules la Bétique et la Maurétanie ne sont pas concernées par ces redécoupages.
C'est une réforme progressive qui s'accélère à partir de 298, et est poursuivie par les successeurs de Dioclétien. Les provinces sont intégrées dans des diocèses, qui dépendent eux-mêmes de préfectures. La date de création des diocèses n'est pas exactement connue; on suppose qu'elle se situe vers 297. À la tête de ces circonscriptions sont placés de hauts fonctionnaires équestres, de rang perfectissime, officiellement nommés «vicaires des préfets du prétoire» (vicarii praefectorum praetorio).
Le vicaire du diocèse a autorité sur tous les gouverneurs provinciaux de sa circonscription, à l'exception des deux proconsuls d'Afrique et d'Asie, qui ne dépendent que du prince. Les quelques gouverneurs clarissimes qui subsistent (correcteurs italiens essentiellement) sont donc subordonnés à des chevaliers. Le vicaire a une double fonction :
Une fonction militaire : il est le commandant des troupes de toutes les provinces du diocèse, en tout cas celles qui sont sous le commandement des praesides; on ne sait pas s'il en est de même pour les troupes commandées par les duces.
Une fonction financière : dès Dioclétien, on rencontre dans plusieurs diocèses un rationalis, adjoint aux questions financièrs et fiscales. À l'échelon impérial, il s'agit du rationalis summarum, qui est le Ministre des Finances. Il existe aussi auprès du vicaire un représentant du magister rei privatae (domaines impériaux).
L'Empire est partagé en quatre préfectures, divisées en diocèses qui regroupent les provinces. Les préfectures sont administrées par des préfets du prétoire, les diocèses par des vicaires.
Le diocèse d'Orient est le plus vaste. L'Asie mineure est divisée entre le diocèse du Pont et celui d'Asie. Le cas de l'Italie est particulier: le vicaire a son siège à Milan, mais son autorité ne s'étend que sur le nord du pays, avec ses dépendances alpestres (Alpes Cottiennes, Rhétie). L'Italie péninsulaire ainsi que les provinces insulaires (Sicile, Sardaigne, Corse), régions dites «suburbicaires», dépendent d'un vicaire spécial, lui-même subordonné, semble-t-il, au préfet de la Ville.
Le gouvernement des provinces
Préfecture
Préfet du prétoire
Diocèse
Vicaire (chevaliers perfectissimes)
Province
Gouverneur (rectores) : consulares sénatoriaux ou praesides équestres.
Dioclétien sépare dans les provinces le pouvoir militaire du pouvoir civil. Le pouvoir militaire est transféré aux duces, chefs des circonscriptions militaires et recrutés parmi les officiers de carrière. Il n'y a d'exception que pour les préfets du prétoire, et pour les praesides (gouverneurs équestres), qui peuvent avoir des troupes auxiliaires sous leurs ordres.
On rencontre aussi d'autres cas de figure : en 298, en Galice, le praeses est encore en charge de la VIIème Gemina. Dans d'autres provinces (Bretagne, Arabie, Numidie...), le gouverneur fait construire des fortifications. De plus beaucoup de gouverneurs sont recrutés parmi les militaires : il n'y a pas de vrai séparation entre les carrières civiles et militaires. Constance Chlore, par exemple, a été tribun militaire, puis praeses de Dalmatie.
Le pouvoir civil revient aux rectores, nom générique qui désigne les gouverneurs. Les gouverneurs sont responsables de l'administration, de la justice et des finances. Au IIème siècle, c'était le cas seulement dans les provinces procuratoriennes. Les impôts sont versés en nature et sont réguliers. Le rôle de procurateur financier dans les provinces est absorbé par la fonction de praeses, sauf en Égypte jusqu'à Constantin.
L'administration est donc beaucoup plus lourde qu'avant la tétrarchie. Le personnel est recruté dans les milieux à formation juridique. Il assure la régularité de la fiscalité. Lactance, hostile à Dioclétien, qualifie cette administration de «régime de terreur».
Le latin est imposé comme langue administrative dans tout l'Empire, et la lex Romana comme législation.
L'évolution est nette :
Au IIème siècle, ce sont de grandes provinces, où le militaire et l'administratif ne font qu'un, mais où les finances relèvent d'un procurateur des finances;
Au IVème siècle, administration et finances sont réunies, et distinctes du militaire.
La raison de ce mouvement de réforme n'est pas fondamentalement sécuritaire, à la différence des réformes de Septime Sévère; pour preuve, les provinces qui sont le plus divisées étaient inermes. la vraie raison est politique : on veut renforcer le poids de l'administration par l'augmentation du nombre d'agents et la diminution de taille des provinces. Les instances locales sont chargées des réquisitions et des corvées.
Cet alourdissement de l'administration coûte cher, non pas en termes de solde individuelle, mais par la hausse du nombre de fonctionnaires. Leur nombre est multiplié par 2 dans les provinces, par 3 ou 4 dans l'administration centrale, et il y a un échelon supplémentaire, celui des vicaires. À la fin du IVème siècle, 300 personnes travaillent sous les ordres d'un vicaire, et 200 sous ceux d'un praeses. L'administration de l'Empire dans son ensemble coûte autant chaque année que cinq légions.
La monarchie de droit divin mise en place par Dioclétien s'appuie sur une administration solide :
Au sommet subsiste le Conseil impérial et les cinq bureaux palatins. Ils sont nécessairement répartis entre les quatre résidences impériales, mais tout acte législatif est pris en commun pour l'ensemble du territoire.
Constantin apporte de nouveaux éléments. Des grands offices apparaissent:
Le questeur du Palais, porte-parole du prince;
Le maître des offices, chef des bureaux palatins.
Leurs titulaires sont membres du Consistoire, la nouvelle appellation du Conseil impérial (consilia sacra sous Dioclétien). En sont également membres les deux directeurs des finances, l'élite des comtes et les notaires. Ceux-ci forment une schole, un corps militarisé de secrétaires qui dépend directement de l'empereur, dont il servent le pouvoir personnel dans la hiérarchie administrative.