3 - Les ludi : la passion du spectacle sportif
Les Romains eurent toujours la passion du cirque et, à un moindre degré, celle des combats de gladiateurs et des naumachies. La technique, l'excitation du danger, la fortune concouraient certainement à ce succès. Mais, pour comprendre cette émotion partagée, il faut revenir au contexte festif de ces spectacles grandioses; les spectacles s'inséraient en effet dans une fête rituelle, qui leur donnaient un contenu festif et religieux : les jeux ou ludi.
Les jeux du cirque ne sont pas des combats de gladiateurs» (J.-P. Thuillier)
Si l'on demande aujourd'hui à quelqu'un ce qui symbolise le mieux à ses yeux la civilisation romaine, il y a de fortes chances pour que la réponse soit : «les jeux du cirque» et bien souvent d'ailleurs on entend par là les combats de gladiateurs et l'on pense au Colisée, aux martyrs chrétiens...
En réalité, les spectacles de gladiateurs (munera et non ludi) n'ont jamais eu lieu dans le Grand Cirque mais d'abord sur des forums avant d'être organisés dans un édifice spécialement adapté à cette fin : l'amphithéâtre. Mais il est vrai que l'image-type de la civilisation sera celle des courses de chars et, de fait, les ludi circenses étaient un moment essentiel dans la vie de la Rome antique.
3.1 - Les fêtes sportives
3.1.1 - Rituels religieux et divertissements du peuple
«Les Romains sont plus religieux que les dieux eux-mêmes» (Polybe)
3.1.1.1 - Origine des ludi
Plusieurs fois par an était organisée à Rome une fête collective que les Romains appellent les ludi. Cette fête durait d'un jour au début de la République jusqu'à quinze jours au Ier siècle avant J.-C..
Les ludi, épreuves sportives ou jeux, avaient lieu à Rome pendant les jours fériés. Sur 109 jours néfastes, quarante-cinq jours étaient consacrés aux fêtes accompagnées de prières, de sacrifices en l'honneur des dieux, de processions et de ludi. Á l'origine ces ludi étaient des courses de chars.
Au cours des siècles les jeux se multiplient. Les empereurs instaurent des Jeux pour commémorer leurs victoires, leurs avènement, l'anniversaire de leur naissance. Assistaient à ces réjouissances les Romains et les étrangers, venant de tous les pays à Rome. On dressait parfois des tentes autour des lieux sportifs pour loger les étrangers.
3.1.1.2 - Les Grands Jeux
Les Grands Jeux ou Jeux Romains sont les plus importants des nombreux «jeux» organisés dans l'Empire et semblent avoir servi de modèles lors de la fondation des autres jeux publics annuels.
Les Jeux Romains avaient lieu en septembre. Au printemps, les jeunes Romains mobilisées étaient sortis de la ville et passaient dans l'espace de Mars, le dieu de la guerre. Les Jeux servaient à réintégrer les soldats romains dans l'espace de la paix et à refaire d'eux des civils. Ils perpétuaient ainsi la tradition de la fondation de Rome par Remus et Romulus. Selon la légende, Romulus tua son frère qui avait franchi avec des armes la première enceinte de la Ville. Depuis, pénétrer dans la Ville avec des armes était considéré un sacrilège.
Les Jeux constituaient donc une forme de rite de purification. Celle-ci était réalisée par une procession des soldats depuis le Capitole jusqu'au cirque. (la pompa). C'est dans le cirque que les jeunes soldats se fondaient à la foule et redevenaient des citoyens de Rome à part entière.
Cette procession avait aussi pour fonction d'installer le ludisme dans la ville : les tribunaux étaient fermés, le peuple ne pouvait se réunir, tout activité du pouvoir était bannie.
La pompa promenait à travers la ville une sorte d'armée d'opérette qui ne s'arrêtait jamais de danser, les ludions et les acteurs du cirque : les cochers et les athlètes. On a interprété de diverses manières ce défilé étrange. Cette pompa ne comportait sans doute ni critique sociale, ni agression satirique. Les plaisirs ludiques étaient sans moralité. L'esthétique ludique visait simplement à offrir aux Romains une transposition symbolique des plaisirs de la guerre.
3.1.1.3 - Un débordement festif
C'était la licentia ludicra, la liberté sans retenue des jeux. Les passions qui se déchaînaient alors dans le cirque, étaient, elles-aussi, éphémères; elles n'étaient légitimes que dans cette atmosphère de liberté ludique, caractéristique des ludi. le relâchement du corps et des âmes était alors non seulement un droit mais un devoir.
3.1.1.4 - Un rituel religieux
Les ludi étaient un de ces plaisirs spécifiquement urbains où affluaient les Romains de la campagne. Mais le plaisir donné par les jeux était indissociable de leur fonction rituelle.
Lorsque plus de 100 000 Romains se retrouvaient dans le Grand Cirque où aboutissait la procession solennelle, au pied du Palatin, c'était pour jouir en commun, et avec les dieux, eux-mêmes installés sur des coussins, du spectacle des courses. La convivialité du Cirque, ce partage par toute la cité des mêmes plaisirs était un des rites fondamentaux de la religion publique.
3.1.2 - La dimension politique des ludi : le baromètre de l'opinion publique
Par les passions qu'ils provoquaient et leur valeur religieuse, les ludi ont pris rapidement une dimension politique; Les frais du spectacle étaient le plus souvent supportés par L'empereur et des magistrats (édile sous la République, prêteur sous l'Empire, magistrats municipaux) dont la carrière dépendait parfois de ces largesses.
Les magistrats ajoutaient souvent sur leur fortune de quoi rehausser l'éclats des ludi pour gagner les faveurs du peuple. Ainsi César se ruina pendant son édilité.
Pour se rendre plus populaires, les empereurs distribuaient des tesserae, jetons d'entrée, multipliaient les épreuves, les faisaient exécuter par des nains sportifs ou des femmes, donnaient des cadeaux. C'est essentiellement lors des spectacles, que les empereurs pouvaient mesurer leur popularité :
«Comme un côté de l'amphithéâtre réclamait Myrinus, l'autre Triumphus, César, des deux mains, fit signe qu'il les accordait tous les deux. Il ne pouvait mieux mettre fin à cet amusant débat. O spirituelle bonté d'un prince invincible.» (Martial, Spectacles, XX)
3.2 - Les spectacles des ludi
Lors des fêtes revenaient systématiquement les mêmes spectacles : combats de gladiateurs, chasses et naumachies dans l'amphithéâtre; luttes d'athlètes sur un stade; courses de chars, voltiges, jeux troyens, pyrrhiques et courses à pied au cirque.
3.2.1 - Les courses de chars
Les courses de chars, nous l'avons vu, étaient le spectacle fusionnel par excellence.
3.2.1.1 - Leur origine
Elle remonte aux Consualia et aux Equirria de l'époque de Romulus, mais surtout aux compétitions étrusques. Les courses de chars étaient, semble-t-il, liées au culte du dieu Consus comme les combats de gladiateurs à celui de Saturne. Elles étaient liées en tout cas à un culte agraire. le piétinement du sol évoquerait les forces souterraines, ces manifestations ayant valeur de fécondité et de rite guerrier.
3.2.1.2 - Le déroulement des courses
Les courses étaient précédées d'un défilé solennel, la pompa. La valeur rituelle de la course était plus sensible au cirque qu'à l'amphithéâtre car l'édifice et les courses avaient une valeur symbolique. Les spectateurs étaient également plus nombreux au cirque qu'à l'amphithéâtre.
Á partir de Néron, le nombre d'épreuves fixé à 12 est passé à 24 et occupait toute une journée avec une interruption à midi.
Les courses débutent par un tirage au sort. Elles opposent chacune quatre factions : les blancs, les bleus, les verts et les rouges.
Le signal du départ est donné par le président des jeux qui jette de sa loge sur la piste une étoffe blanche (mappa). Des serviteurs se précipitent et tirent d'un coup la corde qui maintient fermées les portes des box.
Les cochers conduisent leur char le corps légèrement penché en arrière, les rênes attachés autour de leur taille. Ils sont vêtus d'une tunique. Des bandelettes (fasciae) protègent leur poitrine. Ils portent parfois des jambières. Un petit casque au mince panache orne leur tête. Ils cherchent à gêner l'adversaire sans être gêné par lui. Ils tentent de raser la borne de près sans briser leur char. Si le char est pulvérisé, le cocher doit immédiatement couper les rênes qui entourent sa taille. Des serviteurs portant la livrée de la faction se précipitent pour le relever et lui font boire une potion à base d'excréments de sanglier pour le remettre en forme.
La fin de la course est marquée par une ligne blanche tracée en face de la tribune des juges. Dès qu'elle est franchie, le vainqueur se redresse en tenant les rênes de la main gauche et salue de la droite. Un héraut brandit une bande d'étoffe de la couleur victorieuse en criant le nom du cheval de gauche (funalis). Selon une vieille coutume, le cocher prenait alors le départ d'une course à pied mais l'usage s'est perdu rapidement. Le vainqueur s'avance vers les carceres (stelles de départ) pour saluer le président assis dans sa loge et reçoit une palme ou une couronne; d'autres prix lui seront remis plus tard.
3.2.1.3 - Les factions
Les factions étaient des sortes de clubs sportifs. Ils avaient leur siège au Champ de Mars. Mais on retrouvait ces factions à Carthage, Antioche, Byzance.
Les domini factionum dirigeaient ces associations d'une centaine de personnes. : doctores enseignant l'art de se tenir sur un char, cochers, palefreniers, charrons, cordonniers, artisans, employés chargés de l'administration. Les factions fournissent aux magistrats chargés de donner des jeux l'équipement nécessaire : chars, chevaux, cochers. Ces factions devinrent de plus en plus politisées avec le temps. On raconte que Caligula séjournait continuellement à celui des Verts (Suétone, Caligula, 55).
3.2.1.4 - Les courses chez les Romains et aujourd'hui
Le public romain n'est pas celui de nos hippodromes : l'issue finale l'intéresse moins que les exploits accomplis dans l'arène. Gagner est bien mais la manière est plus importante : le cocher qui parvient à dépasser tous ses adversaires et, de surcroît, sans l'aide du fouet plaît bien plus que celui qui mène la course de bout en bout.
Quand les spectateurs misent sur un char, ce n'est pas en fonction de la valeur du cocher ou des chevaux, ils jouent une écurie, c'est-à-dire une couleur, le rouge ou le blanc, selon qu'ils appartiennent au parti des nobles ou au parti populaire. Ce qui fait vibrer les Romains c'est le pari impossible et tenu. Le plaisir est d'autant plus grand que le vainqueur a mis plus de chances contre lui. La séquence des paris avant la célèbre course de chars du film Ben Hur de W. Wyler (1959) est une excellents reconstitution de cet esprit.
3.2.1.5 - Les cochers
Leur condition était plus avantageuse que celle des gladiateurs : leur profession n'impliquait aucune dégradation juridique.
Ils pouvaient être issus des bas-fonds de Rome comme des classes élevées de la société. Certains empereurs descendaient eux-mêmes dans l'arène, comme Néron, Caligula ou encore Commode.
3.2.1.6 - Les empereurs dans l'arène
Les empereurs eux-mêmes, poussé par l'aventure et la soif du triomphe, participèrent aux compétitions. La victoire s'obtenait au prix de tricheries ridicules parfois de meurtres.
Néron était passionné d'hellénisme au point de se faire couronner vainqueur aux Jeux Olympiques. Il entretenait également depuis son plus jeune âge une passion pour les chevaux. Il assistait tout jeune aux jeux du cirque en cachette et il s'entraînait dans ses jardins au milieu des esclaves à la course de char. Commode se faisait rémunérer ses victoires et se montrait très fier d'être gaucher. Il fit graver au pied de la statue qui le représentait : «Le gaucher... l'emporta sur 12 000 hommes». Mais ses adversaires n'avaient que des épées de bois ! Caligula poussa la folie à vouloir nommer son cheval consul.
Il fallait cependant plusieurs années pour apprendre à conduire un char avant d'affronter la compétition. Beaucoup mouraient dans l'arène, quelques uns devenaient des héros.
Les plus célèbres possédaient alors leurs statues, promenaient leur cours. Certains touchaient des sommes fabuleuse : un des plus renommé, Scorpus, touchait en une heure s'il est vainqueur «15 sacs pesants d'or encore chaud de la frappe» (Martial, Épigrammes, X, 74, 5). Ils étaient considérés comme des amis par l'empereur et leurs chevaux étaient vénérés.
La gloire et la richesse excitaient les jalousies et les haines : on faisait parfois appel à un empoisonneur pour éliminer le rival. Mais, le plus souvent, on mourait jeune dans l'arène.
3.2.2 - Le combat de gladiateurs (les munera)
3.2.2.1 - L'organisation et le financement
Les combats de gladiateurs étaient la forme de spectacle la plus connue en raison de nombreux textes littéraires et des témoignages apportés par l'épigraphie et par les scènes de la gladiature très souvent représentées sur des objets de la vie courante : céramique, verres, bas-reliefs.
3.2.2.2 - Combats de gladiateurs et rituels funèbres
Les combats de gladiateurs donnés dans l'amphithéâtre (munera) représentaient à l'origine un devoir rendu aux morts car il était d'usage chez les Étrusques d'égorger des prisonniers ou des esclaves sur la tombe d'un mort illustre. On pensait que le sang des victimes redonnait vie au défunt.
La tradition gagna la Campanie puis Rome. Au cours des IIIièmeet IIièmesiècles avant J.-C., on passe de vingt-cinq paires de gladiateurs à soixante. En 105 avant J.-C., le Sénat les place au nombre des spectacles publics bien qu'ils soient donnés à titre privé. Mais les spectateurs étaient toujours symboliquement vêtus d'une toge noire et ils assistaient auparavant à une chasse.
Tout citoyen pouvait entraîner une troupe. Les magistrats organisateurs (editor) possèdent souvent la leur dès le Iersiècle, quitte à la louer quand ils n'en ont pas l'usage immédiat. En Province, les magistrats municipaux donnaient chaque année un munus dont les frais étaient répartis entre eux et la cité.
Lorsqu'un riche particulier ou un magistrat décidait d'offrir un combat, il s'adressait à un impresario (lanista). De cette location ou de cette vente, le laniste tirait certes des profits considérables, mais aussi une réputation d'«infâme» (le terme de lanista signifie «boucher»).
Les munera coûtaient chers, ne serait-ce que par la qualité et le nombre des combattants. Le prix d'un gladiateur d'élite atteint 100 000 sesterces sous Tibère. Á ces dépenses s'ajoutaient les récompenses, les cadeaux (missilia). Mais cela n'empêcha pas l'empereur Trajan de produire 10 000 hommes.
3.2.2.3 - Le recrutement
On trouvait aussi bien des condamnés à mort, qui n'étaient jamais graciés, que des criminels condamnés aux travaux forcés ou des esclaves. Mais parmi eux des hommes libres acceptaient de perdre leurs droits civiques pendant leur engagement, poussés par la gloire, l'aventure, le désir de faire fortune. Les chasseurs étaient souvent des barbares (Parthes, Maures..) habiles à manier l'arc et la lance.
3.2.2.4 - La formation des gladiateurs
Pour entraîner les gladiateurs, L'État construisait des casernes, les ludi impériaux, les seules écoles de gladiateurs autorisées, tels le Ludus Matutinus où l'on entraîne les chasseurs et le Ludus Magnus, relié au Colisée par un passage souterrain.
Les plus anciennes écoles de gladiateurs se situent à Capoue; la plus connue est celle de Pompéi, grand quadrilatère de 50 m de côté comprenant une grande cour entourée d'un portique sur lequel s'ouvre des cellules.
Les gladiateurs s'entraînaient sous les ordres d'instructeurs. Ils s'exercent contre un palus (pieu fiché en terre), selon des règles précises, portant parfois une armure plus lourde que celle qu'ils porteront dans l'arène. Le gladiateur travaillait le jeu de jambes, l'assaut avec l'épée et le bouclier. Ils s'entraînaient aussi au duel, à l'arme blanche dans une ellipse figurant l'arène. Ce sport de l'escrime était fort apprécié des Romains : ils venaient voir s'entraîner les gladiateurs, quand ils n'étaient pas tentés de s'exercer eux-mêmes !
La discipline était souvent très dure. Le lanista pouvait user de châtiments corporels, les gladiateurs ayant signé un engagement selon lequel ils acceptaient d'être brûlés, enchaînés, frappés et tués par le fer. Ils ne possèdent que des armes d'escrime. Si les tentatives de révolte disparaissent sous l'Empire, les suicides se multiplient. La révolte de Spartacus à Capoue est restée célèbre.
Mais les gladiateurs étaient bien nourris de fèves et d'orge, de pain peu cuit et de porc, et un médecin veillait sur leur santé. Ils recevaient par ailleurs 2000 sesterces comme prime d'engagement.
Comme le cocher du cirque, le gladiateur vainqueur devenait un héros, idole de la foule et des femmes. Ses exploits étaient chantés par les poètes et reproduits sur des lampes, des vases, des chatons de bague.
Si l'octroi du rudis dispense le gladiateur de combattre dans l'arène, celui-ci n'était pas pour autant libéré du ludus (par exemple en qualité d'instructeur).
3.2.2.5 - Au spectacle
On compte une quinzaine de catégories de gladiateurs, que l'on distinguait grâce à leurs costumes et à leurs techniques de combat. Elles reprenaient souvent l'armement de tribus ennemies fraîchement soumises par Rome : les rétiaires (trident et filet), les mirmillons (bouclier et glaive), les essédaires (combat sur un char), les equites (lance)...
Le combat de gladiateurs représente une suite de figures dont le déroulement obéit à des schémas types, d'où une certaine exigence du public.
Le spectateur reçoit à l'entrée un jeton : billet portant le numéro d'un cuneus (section), d'un gradin, d'une place. Selon l'indication de sa place, le spectateur entre par l'arcade correspondante, un numéro étant gravé sur la clé de voûte de l'amphithéâtre, et emprunte les ambulacres (couloirs qui font le tour de l'arène) et les escaliers. On était d'autant plus haut dans l'amphithéâtre qu'on était plus bas dans l'échelle sociale. Le podium (premier balcon) était ainsi réservé aux familles sénatoriales. Les empereurs entrent les derniers, juste avant la pompa pendant laquelle défilent les gladiateurs parés de chlamyde d'or ou d'étoffes de pourpre.
Le salut à l'empereur se fait au moyen de la formule : «Ave Caesar, morituri te salutant !»(Salut, César, ceux qui vont mourir te saluent). Les «paires» de gladiateurs sont décidées au dernier moment par tirage au sort présidé par l'editor. Le public et l'empereur ont leur partisans et on parie sur l'issue du combat; On passe à l'examen des armes confié à l'editor ou à un favori de marque si l'empereur est l'editor. Pendant ce temps les combattant s'échauffent par des tours d'escrime.
Les trompettes signalent le début des combats. Le combat opposent deux hommes de force plus ou moins égale, et durent jusqu'à la mort de l'un des adversaires. Dès qu'un gladiateur est touché, la foule crie : «Hoc habet !» (il en a !). Si l'un d'eux s'avoue vaincu, il implore la grâce, décision qui relève uniquement de l'editor. Ce dernier s'en remettait cependant à l'opinion des spectateurs qui, en levant la main ou en baissant le pouce à terre, accordaient la vie ou la mort. L'exécution se déroule selon un rituel précis : le vaincu est égorgé. Si le combat ne se déroule pas à la régulière, l'editor envoie des employés fouet ou fer rougi au feu à la main.
Tandis que le vainqueur s'éclipse, le Charon précédé d'un Hermès pénètre dans l'arène. L'Hermès applique un caducée rougi au feu sur la peau du vaincu pour s'assurer qu'il est mort. Charon prend possession du mort en le frappant de son maillet. Le vaincu est ensuite transporté hors de l'arène sur une civière et la piste est nettoyé et parfumée pour d'éventuels autres combats.
Peu à peu les combats de gladiateurs se transforment en carnage et il n'est pas rare que les spectateurs eux-mêmes en viennent aux mains. Si les chasses persistent jusqu'au IVesiècle, les combats de gladiateurs cessent sous la pression chrétienne. Mais une certaine lassitude gagna aussi les Romains.
3.2.3 - Les naumachies et spectacles nautiques
Les arènes pouvaient aussi dans certains cas accueillir des jeux nautiques, sanglants ou non.
3.2.3.1 - Leur origine
La première naumachie connut est celle que César fit donner à l'occasion des funérailles de sa fille Julie, en 46 avant J.-C.. On peut se demander s'il s'agit là d'une invention du dictateur. Selon M. Reddé et J.-C. Golvin, il semble que César a inaugura un spectacle d'un genre nouveau. Certes, avant cette date, des joutes nautiques avaient déjà été organisées : mais celles-ci étaient la plupart du temps des ludi à caractère commémoratif ou religieux, ou, plus rarement, des exercices militaires. Tandis qu'«en s'intégrant au munus, les spectacles nautiques changent de nature pour devenir de véritables combats, plus proches de la gladiature et de la venatio que des régates classiques.»(M. Reddé et J.-C. Golvin, «Naumachies, jeux nautiques et amphithéâtres», Spectacula I)
3.2.3.2 - Les lieux des naumachies
Les naumachies se donnaient dans des lieux très divers :
On utilisa un décor naturel, dans deux cas exceptionnels au prix de quelques aménagements : les naumachies de Sextus Pompée sur le détroit de Sicile et de Claude sur le lac Fucin.
Le plus souvent, il a fallu utiliser des lacs artificiels. Ce sont des bassins artificiels, creusés pour l'occasion et dont l'usage est éphémère. Auguste, par exemple, pour la dédicace du temple de Mars (2 avant J.-C.), inonde certaines parties du Circus Flaminius. On aménagea aussi des bassins permanents, spécialement conçu pour les naumachies. On connaît notamment le bassin de Rome, aménagé par Auguste au bois des Césars. Malheureusement nous avons peu de renseignements sur cet édifice et aucune trace n'en a été retrouvé. Il s'agissait sans doute d'un vaste bassin non construit, creusé dans le sol, avec des gradins de bois installés pour les spectateurs.
Les joutes nautiques peuvent se dérouler enfin dans les amphithéâtres. Le Colisée s'est prêté à de grands spectacles nautiques lors de son inauguration. Mais il ne reste plus de trace du bassin aménagé à cet effet. Il n'en va pas de même de Mérida ou encore de Vérone, où un bassin est conservé au milieu de l'arène. Il était drainée par un égout. Cette fosse pouvait être recouverte d'un plancher quand le bassin n'était pas utilisé. Mais le théâtre se prêtaient mieux aux manifestations aquatiques que l'amphithéâtre : l'absence de sous-sol dans les théâtres rendait son inondation facile.
3.2.3.3 - Les grandes naumachies
Á la suite de la naumachie de César, les empereurs organisèrent de véritables combats navals grandeur nature, rivalisant de faste et d'extravagance.
Auguste fit ainsi reconstituer la bataille de Salamine : la flotte des Athéniens prit d'assaut celle des perses et remporta la victoire comme autrefois. Le nombre de combattants fut d'environ 3000.
3.2.3.4 - Un combat naval grandeur nature
Le spectacle nautique le plus extraordinaire de tous les temps fut donné par Claude vers 52 après J.-C.
Il fut organisé sur le Lac Fucin. Les berges et les collines voisines formaient un vaste théâtre naturel où se pressait une foule innombrable.
D'après l'historien Tacite, Claude fit combattre au total 19 000 hommes. Une enceinte flottante formée de radeaux raccordés les uns aux autres empêchaient toute tentative de fuite et délimitait une vaste zone de combat. Deux flottilles, occupés par des condamnés à mort, figuraient les escadres siciliennes et rhodiennes, sur des radeaux, des soldats pouvaient tirer des catapultes et des balistes.
Ces spectacles étaient donc essentiellement la réédition de grands combats mythiques. Mais les empereurs organisèrent d'autres jeux nautiques comme des combats de gladiateurs contre des crocodiles et, lors des jeux de 57, organisés par Néron, Suétone souligne la présence de monstres marins (Néron, XII).
Toutefois, en raison des moyens colossaux qu'exigeait l'organisation d'une naumachie et de son caractère exceptionnel, il était plus facile de monter des ballets aquatiques, plus ou moins licencieux, dans les orchestres des théâtres, que l'on pouvait facilement inonder.
Il apparaît que les naumachies n'ont jamais été autre chose qu'un spectacle exceptionnel, même à Rome. Elles ne prenaient place dans le munus qu'en des occasions particulières. Apparues tardivement, elles disparaissent dès le IIe siècle après J.-C..
3.2.4 - le spectacle de la chasse (les venationes)
Les empereurs ont également organisé des venationes dans les amphithéâtres dont les gradins étaient protégés par des fossés et des parois lisses.
Ils se déroulaient les matins à l'aube, puis l'après-midi dès la fin de la République. Les chasses se déroulaient souvent dans un décor grandiose (forêt, cadre mythologique) avec une mise en scène inattendue voire érotique.
Les gladiateurs combattant les fauves (venatores) étaient entraînés à lutter contre les bêtes sauvages dans des casernes d'État. Ils étaient armés d'un épieu renforcé d'une pointe de fer (le venabulum). Vêtus d'une simple tunique (parfois d'une cuirasse), ils n'avaient pour protection que des bandes de cuir fixées aux bras et aux jambes.
Ils affrontaient l'animal au corps à corps, le montaient parfois pour fatiguer les fauves. Certains combats rappelaient la tauromachie : des taurarii luttaient avec une lance ou un épieu contre un taureau irrité par les torches ou les aiguillons du succursor. Le venator se transformait parfois en acrobate, effectuant des sauts périlleux autour des bêtes.
Les animaux étaient ainsi massacrés en grand nombre (9000 bêtes tuées pour l'inauguration du Colisée). Des chasseurs expérimentés étaient mobilisés de tout l'Empire pour ramener les bêtes à Rome. Enfermés dans des cages de buis et de métal, les animaux faisaient la traversée jusqu'à Rome. Devant le besoin croissant d'animaux, les légions comprenaient elles-aussi des unités spécialisées.
Á Rome des marchands louaient à la fois des bêtes et des chasseurs entraînés. Les aristocrates étaient même fiers de voir leurs fils armés de javelots ou de lassos, face à de petits animaux car la chasse était avant tout un sport noble. Mais des écrivains, tel Sénèque ont condamné les excès de ces combats sanglants.
3.3 - Éloge et critique des jeux romains
3.3.1 - Critique des philosophes
Certains Romains, surtout dans les classes supérieures n'aimaient pas le cirque. Ce dégoût de l'élite pour les spectacles du cirque trouvait sa justification dans les philosophies épicurienne et stoïcienne dénonçant la fascination morbide que la fortune exerce sur les hommes. Pour ceux qui doivent se libérer des passions, l'espoir et la crainte, le cirque est l'école du vice. Mais paradoxalement certains philosophes cultivaient une horreur fascinée pour les spectacles des jeux et les utilisent sans cesse dans des comparaisons pour montrer les hommes ballottés par la fortune. Sénèque notamment, dans le De brevitate vitae décrit avec horreur les fastes de Pompée :
« qui croit mémorable un spectacle où l'on tue des hommes de façon inédite. Ils s'étripent ? C'est trop peu. Ils sont mis en pièce ? Encore trop peu : faisons-les broyer par l'énorme masse des animaux (il s'agissait d'éléphants) !»
3.3.2 - Regard amusé des satiristes
D'autres auteurs, comme Juvénal, ont décrit avec ironie les combats du cirque, et surtout les goûts extravagants des empereurs.
3.3.3 - Éloge des poètes ?
Rares sont les auteurs qui ont vraiment fait l'éloge des Jeux du cirque et de l'amphithéâtre.
Le «Livre des spectacles» de Martial demeure quant à lui controversé et il n'a guère apporté la gloire à son auteur : on y a vu souvent un tissu de flagorneries adressées, à tort, à l'empereur Domitien. Mais ce livre inclassable a l'immense intérêt de mettre en valeur la dimension première des combats de l'amphithéâtre : le plaisir du spectacle.
«Où trouver une nation assez reculée, un peuple assez sauvage, César, pour ne pas fournir de spectateurs à sa capitale ?... L'Arabe est accouru, les Sabéens sont acourus, et les Ciliciens ont été aspergés de la rosée de leur propre safran... Divers sont les langages de ces peuples : mais ils s'accordent tous entre eux, César, quant ils te proclament le vrai père de la patrie.» (Martial, Spectacles, III)
«[...] Que l'antiquité, César, cesse de s'émerveiller d'elle-même : tout ce que la renommée célèbre, l'arène le réalise pour toi.» (Spectacles, V)