Il n'est rien de nouveau sous le Soleil (Ecclésiaste)
L'Architecture, moyen d'expression complet, pouvait se passer d'écrits la concernant et ce n'est qu'après plusieurs millénaires de maturité que naît une littérature spécialisée. On peut dire qu'avec Vitruve, cette littérature est triplement spécialisée : par le sujet, par l'auteur et par les lecteurs auxquels elle s'adresse. Cette remarque a son importance, l'auteur traite en dix livres l'ensemble et les détails de l'Art de bâtir et son ouvrage est aussi complet que possible. C'est un homme de métier et seuls les hommes de métier auxquels il s'adresse ont su 1e traduire. La connaissance du sujet est pour toutes les traductions techniques plus importante que celle de la langue. Je n'ai jamais connu personne qui l'ayant lu n'en ait tiré un enseignement. Il est aberrant que les élèves que forment nos écoles spécialisées puissent ignorer Vitruve ou apprendre des années après leurs études que Viollet-le-Duc a consacré seize volumes à l'architecture et au mobilier. La mode étant aux voyages, ce qui est fort bon, ils les découvriront certainement l'un et l'autre en Amérique ou au Japon.
En plus de l'aspect technique, cette littérature nous renseigne sur la démarche intellectuelle et spirituelle de ces hommes. Cette forme d'expression est sans doute plus accessible que l'architecture elle-même dont nous avons de beaux restes mais qui ne sont guère que des échantillons dans un environnement qui leur est étranger. Ceux qui se posent encore des questions sur l'ancienneté du symbolisme dans l'art seront satisfaits par la relation faite entre les proportions des productions de la nature, espèce humaine comprise, et les éléments d'un édifice. Il y sera fait quelques références en passant. Le but de ce travail est de conduire à la lecture de Vitruve, c'est pourquoi les commentaires sont réduits au profit de très larges citations.
La traduction de Perrault, revue et mise en français moderne par André Balland est très claire et agréable. Le ton est si familier, on est tenté d'écrire fraternel, qu'on a l'impression d'être à ses côtés sur le chantier et de voir s'élever les colonnes. Le but de l'auteur n'est pas de montrer ses connaissances, mais de les partager. Cette démarche sera celle de ses élèves lointains de la Renaissance, encore qu'un certain pédantisme apparaisse déjà chez ceux qui font étalage de fonctions officielles pour revendiquer la primauté dans l'exercice de leur métier.
Il est évident que l'oeuvre de Vitruve, qui contient plus que des allusions aux ordres d'Architecture et aux Arts libéraux, sera utilisée au Moyen-Age avant d'être connue de tous grâce à l'imprimerie à partir du milieu néo-platonicien né à Florence.
C'est par cet "ingénieur militaire" de Jules César que furent connues les techniques de l'architecture grecque et leur continuité dans la construction romaine.
Ce n'est qu'à partir de la Renaissance que son oeuvre est connue de tous.
Cette période si elle ne mérite pas toutes les louanges dont elle a bénéficié jusqu'au romantisme passionné par le Moyen-Age, qu'il réduisait à la seule période gothique, mérite cependant plus d'intérêt qu'il ne lui en est accordé actuellement.
Vitruve serait mort en l'an 26 avant J.-C.. Après avoir servi en Espagne et en Gaule sous César, il écrivit à la fin de sa vie ce traité qu'il dédia à Auguste. Il ne faut pas pour autant voir en lui un rescapé. A cette époque de guerres meurtrières, connaître un métier était, sauf accident, un gage de survie. Ils étaient des prisonniers dont on cherchait à utiliser les compétences et il est fort possible que certains d'entre eux, formés ensemble se retrouvèrent face à face lors de sièges, particulièrement les charpentiers qui construisaient les machines de guerre.
Il cite des ouvrages antérieurs, mais dit-il moins complets. Delmas dans la préface de la traduction nous parle de sept cents ingénieurs militaires à son époque, c'est cette désignation qui traduit le mieux la fonction qui, nous le verrons, couvre l'ensemble de la "technologie" de l'époque romaine.
Son oeuvre, contrairement à celles des hommes de la Renaissance à qui elle servait également de curriculum vitae et de catalogue, est pure de toute intention mercantile, c'est celle d'un retraité, ce qu'il indique lui-même dans sa dédicace à Auguste. Il écrit pour transmettre ce qu'il a reçu des anciens auxquels il se réfère constamment. C'est au sens littéral du terme l'oeuvre fraternelle d'un vieux maçon. Il traite aussi bien du décor d'un chapiteau, de la fresque que du traitement des eaux ou de l'urbanisme. Il nous dit comment et à quelle époque couper les arbres et nous enseigne à préparer la pourpre.
Sur l'homme lui-même, certains regrettent que nous ne sachions rien alors que son oeuvre nous donne l'essentiel. Peu nous importent les détails de sa vie privée, il est à parier qu'elle fut aussi bien réglée que son oeuvre architecturale (la basilique de Fano, qu'il a décrite, lui est attribuée) et la composition de son livre, mais c'est pour nous sans grande importance.
C'est à Léon Batista Alberti (1404-1472) qu'est attribué le mérite d'avoir fait connaître son oeuvre et rien dans la rapide recherche ayant précédé cet article n'est venu infirmer l'opinion générale.
Brunet indique que, dans la première édition connue, imprimée à Rome, vers 1486, avec des caractères de Georges Herolt, la place pour passages grecs et les figures est restée en blanc, ce qui tendrait à prouver que le manuscrit utilisé pour cette édition les possédait.
Une deuxième édition d'après un premier colophon est imprimée à Florence en 1496 lorsqu'un second indique Venise 1495 ides de novembre.
Un troisième et dernier incunable, réédition du précédent, est imprimé à Venise par Simon Bivilaqua.
C'est encore à Venise en 1511 qu'est publiée la première édition illustrée de bois gravés pour lesquels il avait été prévu des réserves sur la première.
Une copie réduite de la précédente en italiques, paraît à Florence en 1513.
La plus belle édition, qui contient des commentaires et le plan et l'élévation de la cathédrale de Milan de Cesarre Cesariano, est imprimée en 1521 à Côme; avec privilèges du Pape Léon X. Ce travail a duré, on y trouve un monogramme daté de 1519.
La première traduction française due à Jacques Martin est datée de 1547, elle porte la vignette ci-contre (les "trois anneaux" et le G surmonté du 4 de chiffre sont remarquables, il faut indiquer, au sujet de la lettre G, que cette marque est celle de Jacques Gazeau). Cette édition est recherchée pour les bois gravés de Jean Goujon et la "dissertation sur l'architecture" du même auteur.
Le catalogue des imprimés de la Bibliothèque Nationale décrit 112 éditions jusqu'en 1912. La liste aurait considérablement allongé cet article, il est facile de s'y reporter . Ce catalogue est consultable dans toutes les grandes bibliothèques qui ont souvent d'anciennes éditions en réserve.
La meilleure traduction reste celle de Claude Perrault, frère du fabuliste, très bon architecte, auquel un ouvrage a été consacré récemment.
La première édition, de 1673, a été rééditée récemment par André Balland, Les Libraires Associés, 1965, avec une remarquable préface d'André Delmas dont sont extraits les renseignements concernant Vitruve pour cet article. Cette édition est épuisée, le texte en a été repris sans les illustrations de Jean Goujon. Le style de Perrault est modernisé, ce qui le met à la portée du lecteur peu familier des textes anciens.
Le fac-similé de l'édition de 1673 est disponible (Paris, Bibliothèque de l'Image, 1995, ISBN : 2-909808-26-2) avec une préface consacrée à Perrault, par Antoine Picon qui lui a consacré plusieurs études y compris un volume, Claude Perrault (1613-1688) ou la curiosité d'un classique, Paris Picard.
Une traduction savante bilingue est en cours de publication par "Les Belles Lettres", il faut avouer que malgré toute l'érudition de latinistes distingués, la traduction de Perrault, modernisée par Balland, moins littérale et d'un accès plus facile est recommandable, L'édition de 1965 est de plus abondamment illustrée à partir notamment des dessins de Jean Goujon et Claude Perrault.
Depuis la fin du XVe siècle, l'oeuvre de Vitruve a constamment été reprise, souvent d'une manière libre avec des coupures et des ajouts au gré des éditeurs L'histoire de l'Architecture de la Renaissance est bien connue tant en Italie qu'en France et ensuite en Angleterre. Elle s'inscrit dans un contexte philosophique de découverte de la pensée et de l'art grec et l'on peut comparer Marcile Ficin et Leone Batista Alberti chacun dans sa spécialité. C'est Alberti qui fit connaître Vitruve dont il utilisa l'enseignement dans son art et dans ses écrits. A partir de lui tous se mirent à cette école et Vitruve fut ensuite répandu particulièrement par Palladio et Vignole qui nous ont laissé des oeuvres écrites. De nos jours Vignole est devenu un nom commun pour désigner un traité des cinq ordres d'architecture. Si l'enseignement officiel les oublies, il n'est probablement pas un compagnon charpentier, maçon ou menuisier, qui de nos jours, en ignore l'existence.
En France, Philibert de l'Orme, Jean Cousin, Abraham Bosse, Jean Goujon, Le Muet, Perrault ... l'ont traduit ou s'en sont inspirés.
C'est surtout à travers Inigo Jones, lui-même admirateur de Palladio que les Anglais l'ont connu.
Si actuellement la paternité des constructeurs des grandes cathédrales gothiques est revendiquée par les Franc-Maçons, il n'en fut pas toujours ainsi. Nous trouvons dans les Constitutions d'Anderson de 1723, page 38 de l'édition originale, un passage que Paillard traduit de la manière suivante en respectant les capitales et les italiques du texte original :
"Mais à sa mort [de la reine Élisabeth], le Roi Jacques VI d'Ecosse lui ayant succédé sur le trône d'ANGLETERRE et étant Roi Maçon, restaura les Loges Anglaises ; et comme il fut le Premier Roi de GRANDE-BRETAGNE, il fut aussi le Premier Prince de l'Univers qui ranima l'Architecture Romaine des ruines de l'Ignorance Gothique [the was also the First Prince in the World thet recover'd the Roman Architecture from the ruins of Gothic Ignorance]. En effet après de nombreux Ages d'obscurité ou de manque d'instruction, sitôt que toutes les Branches de la Science refleurirent, et que la Géométrie recouvra sa Place, les Nations policées commencèrent à découvrir la Confusion et l'Impropriété des Constructions Gothiques; et au Quinzième et au Seizième siècles le STYLE d'AUGUSTE renaquit de ses Décombres en Italie grâce à BRAMANTE, BARBARO, SANSOVINO, SAN-GALLO, MICHEL-ANGE, RAPHAËL D'URBIN, JULES ROMAIN, SERGLIO, LABACO, SCAMOZZI, VIGNOLA, et beaucoup d'autres brillants Architectes ; mais surtout grâce au Grand PALLADIO, qui n'a pas encore été dûment imité en Italie, quoique notre grand Maître Maçon INIGO JONES ait justement rivalisé avec lui en Angleterre..."
Nous aurions tort de critiquer nos frères anglais après avoir abattu le linteau et le tympan de Notre-Dame de Paris qui gênaient le passage d'un dais lors d'une procession.
Pour Voltaire également "gothique" signifiait construction des Goths, synonyme de barbares. C'est à Napoléon III que l'on doit, par l'intermédiaire de son ministre des Beaux-arts, Prosper Mérimée, le goût pour le gothique popularisé par Victor Hugo et restauré avec plus de compétence que n'en ont souvent ses détracteurs, par Viollet le Duc.
Rappelons qu'en Italie, sous Auguste à qui Vitruve dédia son livre, de nombreux monuments grecs subsistaient, surtout dans le sud de la péninsule. Les constructeurs du forum de Pompéi ont réemployé des tambours pour élever de nouvelles colonnes. Ils ont sans complexe remplacé ceux qui manquaient par une maçonnerie de briques autour de laquelle les cannelures ont été taillées au ciseau, le tout étant recouvert d'un stuc qui a résisté au Vésuve et aux siècles. Cette partie n'est heureusement pas encore restaurée. Les travaux actuels sont visibles : un fragment de brique creuse en témoigne sur le four restauré du célèbre boulanger.
Vitruve, quand il évoque les anciens, cite les Grecs. C'est bien la culture grecque que plus tard, les Médicis réintroduisirent en Italie et qui fut à l'origine de la Renaissance dans toute l'Europe avec un décalage temporel plus ou moins important. Il n'atteignit son apogée en Angleterre qu'après le grand incendie de Londres en 1666.
C'est le premier thème traité par Vitruve. C'est, et la suite du livre le démontrera, un homme de raison et d'expérience. Il met la pratique en premier, c'est elle qui montre à l'apprenti ses insuffisances et lui fait sentir la nécessité de la théorie contenue dans les Arts libéraux.
Dans les guerres meurtrières de l'époque, celui qui avait un savoir-faire utile était épargné et bien traité, son origine et ses opinions religieuses n'étaient pas en cause. La progression de l'Empire entraînait dans un premier temps une structure pour l'entretien de l'armée, des hommes, des chevaux, des armes, des machines de siège, sans lesquels il était impossible d'assurer une conquête et de la maintenir. Il était indispensable de former en grand nombre des hommes de métier qui sauraient concevoir et mettre en oeuvre les matériaux dont ils disposeraient et utiliser la main d'oeuvre locale dont les meilleurs, entrés jeunes dans la carrière (parfois au sens littéral), pourraient devenir à leur tour des hommes connaissant parfaitement l'Art de construire.
Ce n'est pas le sujet de ce travail, mais l'on conçoit facilement que ces hommes qui parcouraient ensemble le monde, unis par un métier, aient constitué des fraternités dans lesquelles les profanes, jugeant sur les réalisations, voyaient des secrets dans ce qui n'est qu'une longue maturation basée sur l'analogie entre le matériau, l'homme et l'oeuvre.
Laissons parler l'auteur :
"L'architecture est une science qui doit être accompagnée d'une grande diversité d'études et de connaissances, par le moyen desquelles elle juge de tous les ouvrages des autres arts qui lui appartiennent. Cette science s'acquiert par la pratique et par la théorie: la pratique consiste dans une application continuelle à l'exécution des desseins que l'on s'est proposés, suivant lesquels la forme convenable est donnée à la matière dont se font toutes sortes d'ouvrages; la théorie explique et démontre la convenance des proportions que doivent avoir les choses que l'on veut fabriquer: cela fait que les architectes qui ont essayé de parvenir à la perfection de leur art par le seul exercice de la main ne s'y sont guère avancés, quelque grand qu'ait été leur travail, non plus que ceux qui ont cru que la seule connaissance des lettres et le seul raisonnement les y pouvaient conduire; car ils n'en ont jamais vu que l'ombre; mais ceux qui ont joint la pratique à la théorie ont été les seuls qui ont réussi dans leur entreprise, comme s'étant munis de tout ce qui est nécessaire pour en venir à bout.
Dans l'architecture, comme en toute autre science, on remarque deux choses; celle qui est signifiée, et celle qui signifie: la chose signifiée est la chose énoncée dont on parle, et celle qui signifie est la démonstration que l'on en donne par le raisonnement, soutenu de la science. C'est pourquoi il est nécessaire que l'architecte connaisse l'une et l'autre parfaitement. Ainsi il faut qu'il soit ingénieux et laborieux tout ensemble; car le génie sans le travail, ni le travail sans le génie, ne rendirent jamais aucun ouvrier parfait. Il doit donc savoir écrire et dessiner, être instruit dans la géométrie et n'être pas ignorant de l'optique, avoir appris l'arithmétique et savoir beaucoup de l'histoire, avoir bien étudié la philosophie, avoir connaissance de la musique et quelque notion de la médecine, de la jurisprudence et de l'astrologie.
La raison est que, pour ne rien oublier de ce qu'il a à faire, il en doit dresser de bons mémoires, et pour cet effet savoir bien écrire; il doit savoir dessiner afin qu'il puisse avec plus de facilité, sur les dessins qu'il aura tracés, exécuter tous les ouvrages qu'il projette ; la géométrie lui est aussi d'un grand secours, particulièrement pour lui apprendre à bien se servir de la règle et du compas, pour prendre les alignements et dresser toutes choses à l'équerre et au niveau. L'optique lui sert à savoir prendre les jours et à faire les ouvertures à propos, selon la disposition du ciel. L'arithmétique est pour le calcul de la dépense des ouvrages qu'il entreprend, et pour régler les mesures et les proportions qui se trouvent quelquefois mieux par le calcul que par la géométrie. L'histoire lui fournit la manière de la plupart des ornements d'architecture dont il doit savoir la raison .
... L'étude de la philosophie sert aussi à rendre parfait l'architecte qui doit avoir l'âme grande et hardie.
...Pour ce qui est de la musique, il doit y être consommé, afin qu'il sache la proportion canonique et mathématique, pour bander comme il faut les machines de guerre, comme balistes, catapultes et scorpions, dont la structure est telle, qu'ayant passé dans deux trous par lesquels on tend également les bras de la catapulte, et dont l'un est à droite et l'autre est à gauche, aux chapiteaux de ces machines, des câbles faits de cordes à boyaux que l'on bande avec des treuils ou cabestans et des leviers, l'on ne doit arrêter ces câbles pour mettre la machine en état de décocher, que quand le maître les entend d'un même ton, quand on les touche, parce que les bras que l'on arrête après les avoir bandés doivent frapper d'une égale force, ce qu'ils ne feront point s'ils ne sont tendus également, et il sera impossible qu'ils poussent droit les traits qu'ils doivent lancer.
La connaissance de la musique est encore nécessaire pour savoir disposer les vases d'airain que l'on met dans les niches sous les degrés des théâtres, et qui doivent être placés par proportion mathématique, selon la différence des sons qu'ils ont en retentissement (appelé echeia en grec), et doivent aussi être faits suivant les symphonies ou accords de musique, et pour cela avoir différentes grandeurs tellement compassées et proportionnées les unes aux autres, qu'ils soient à la quarte, à la quinte ou à l'octave, afin que la voix des comédiens frappe les oreilles des spectateurs avec plus de force, de netteté et de douceur. Enfin les machines hydrauliques et la structure d'autres instruments semblables ne peuvent être comprises sans la science de la musique.
Il faut aussi que l'architecte ait connaissance de la médecine pour savoir quelles sont les différentes situations des lieux de la terre, lesquels sont appelés climata par les Grecs, afin de connaître la qualité de l'air, s'il est sain ou dangereux, et quelles sont les diverses propriétés des eaux; car, sans la considération de toutes ces choses, il n'est pas possible de construire une habitation qui soit saine
L'astrologie lui servira aussi pour la confection des cadrans solaires par la connaissance qu'elle lui donne de l'orient, de l'occident, du midi et du septentrion, des équinoxes, des solstices et du cours des astres.
Donc, puisque l'architecture est enrichie de la connaissance de tant de diverses choses, il n'y a pas d'apparence de croire qu'un homme puisse devenir bientôt architecte, et il ne doit pas prétendre à cette qualité à moins qu'il n'ait commencé dès son enfance à monter par tous les degrés des sciences et des arts qui peuvent s'élever jusqu'à la dernière perfection de l'architecture.
Il pourra se faire que la plupart ne puisse pas comprendre que l'entendement et la mémoire d'un seul homme soient capables de tant de connaissance; mais quand on aura remarqué que toutes les sciences ont une communication et une liaison entre elles, on se persuadera que cela est possible, car la science universelle est composée de toutes ces sciences, comme un corps l'est de ses membres, et ceux qui ont étudié dès leur jeune âge le reconnaissent aisément par les convenances qu'ils remarquent entre certaines choses qui sont communes à toutes les sciences, dont l'une sert à apprendre l'autre plus facilement.
C'est pourquoi Pithius, cet ancien architecte qui s'est rendu illustre par la construction du temple de Minerve dans la ville de Pirenne, dit dans son livre que l'architecte doit être capable de mieux réussir, aidé de toutes les sciences dont il a la connaissance, que tous ceux qui ont excellé par une activité particulière dans chacune de ces sciences: ce qui n'est point véritable, car il n'est ni possible ni même nécessaire qu'un architecte soit aussi bon grammairien qu'Aristarque, aussi grand musicien d'Aristoxène, aussi excellent peintre qu'Apelle, aussi bon sculpteur que Miron ou Polyclète, ni aussi grand médecin qu'Hippocrate. Il suffit qu'il ne soit pas ignorant de la grammaire, de la musique, de la sculpture et de la médecine, l'esprit d'un seul homme n'étant point susceptible d'atteindre la perfection dans tant de grandes choses ...
Ainsi l'architecte doit être réputé en savoir assez, pour peu qu'il soit instruit dans les arts qui ont rapport à l'architecture, afin que s'il est appelé à en juger ou à les examiner, il n'ait pas la honte de demeurer court; et s'il se rencontre des personnes qui aient assez d'esprit ou de mémoire pour savoir parfaitement la géométrie, l'astrologie, la musique et toutes les autres sciences, leur capacité doit être considérée comme quelque chose au-dessus de ce qui est requis par l'architecture; dans ce cas, ce sont des mathématiciens qui peuvent traiter à fond de toutes ces différentes sciences; ces génies sont fort rares, et il s'en trouve peu de tels qu'ont été Aristarque, à Samos;
Philolaus et Architas, à Tarente; Apollonius, à Perga; Eratosthène, à Cyrène; Archimède et Scopinas, à Syracuse, lesquels ont inventé de très belles choses dans la mécanique et la gnomonique par la connaissance qu'ils avaient des nombres et des choses naturelles.
...je te supplie, César, et tous ceux qui liront mon livre, d'excuser les fautes qui s'y trouveront contre les règles de la grammaire, et de considérer que ce n'est ni un grammairien achevé, ni un grand philosophe, ni un rhétoricien éloquent, mais que c'est un architecte qui l'a écrit; car pour ce qui appartient au fond de l'architecture et à tout ce qui a rapport à cette science, je puis dire avec quelque assurance que non seulement les ouvriers trouverons dans mes écrits les instructions dont ils peuvent avoir besoin, mais que tout esprit raisonnable y rencontrera ce que l'on peut désirer pour la connaissance de cette science.
L'architecture est constituée par: l'ordonnance, que les Grecs appellent taxis; la disposition, qu'ils nomment diathésis; l'eurythmie; la proportion; la convenance, et la distribution ...
L'eurythmie est la beauté résultant de la réunion d'un dessin agréable et d'une distribution commode au premier aspect, dans toutes les parties de l'oeuvre, on obtient ce résultat en établissant une juste proportion dans les dispositions générales de l'édifice en tous les détails à la perfection de l'ensemble.
La proportion est le rapport que tout l'oeuvre a avec ses parties, et qu'elles ont séparément, comparativement au tout, suivant la mesure d'une certaine partie. Car, de même que dans le corps humain, il y a un rapport entre le coude, le pied, la paume de la main, le doigt et les autres parties, ainsi dans les ouvrages qui ont atteint leur perfection, un membre en particulier fait juger de la grandeur de tout l'oeuvre.
Dans ce chapitre les lieux favorables pour les temples des dieux suivant leur fonctions sont indiqué ainsi que les styles en rapport. Ces indications sont techniques, l'auteur ne verse guère par la crédulité ainsi que le révèle un passage que nous reproduisons plus bas.
"De la vie des hommes primitifs, des commencements de la civilisation, des habitations et de leurs développements" Vitruve traite des matériaux et de leur emploi. Il traite successivement des briques, du sable, de la chaux, de la pouzzolane, des carrières, des différents genre de maçonnerie et des bois. Il y montre une grande connaissance des matériaux et le bon sens qui le guide dans leur emploi.
Les livres III et IV traitent des proportions, des Ordres d'Architecture et des différents types de temples. C'est celle qui sera le plus souvent reprise jusqu'à nos jours, souvent à partir de Vignole.
D'où les proportions ont été transportées aux temples.
L'ordonnance d'un édifice consiste dans la proportion qui doit être soigneusement observée par les architectes. Or, la proportion dépend du rapport que les Grecs appellent analogie; et, par rapport, il faut entendre la subordination des mesures au module, dans tout l'ensemble de l'ouvrage, ce par quoi toutes les proportions sont réglées; car jamais un bâtiment ne pourra être bien ordonné s'il n'a cette proportion et ce rapport, et si toutes les parties ne sont, les unes par rapport aux autres, comme le sont celles du corps d'un homme bien formé
Le corps humain a naturellement et ordinairement cette proportion, que le visage qui comprend l'espace qu'il y a du menton jusqu au haut du front, où est la racine des cheveux, en est la dixième partie. La même longueur est depuis le pli du poignet jusqu'à l'extrémité du doigt qui est au milieu de la main ; toute la tête, qui comprend depuis le menton Jusqu'au sommet, est la huitième partie de tout le corps. La même mesure est depuis l'extrémité inférieure du col par-derrière. Il y a depuis le haut de la poitrine jusqu'à la racine des cheveux une sixième partie, et jusqu'au sommet une quatrième. La troisième partie du visage est depuis le bas du menton jusqu'au-dessous du nez: il y en a autant depuis le dessous du nez jusqu'aux sourcils, et autant encore de là jusqu'à la racine des cheveux qui termine le front....
Le pied a la sixième partie de la hauteur de tout le corps, le coude la quatrième, et la poitrine est de la même dimension. Les cures parties ont chacune leurs mesures et proportions, sur lesquels les peintres et les sculpteurs de l'antiquité qu'on estime tant, se sont toujours réglés ; de même il faut que les parties qui composent un temple aient chacune un rapport convenable avec le tout;
... Le centre du corps est naturellement au nombril; car si à un homme couché, et qui a les pieds et les mains étendus, on met le centre d'un compas au nombril, et que l'on décrive un cercle, il touchera l'extrémité des doigts des mains et des pieds; et comme le corps ainsi étendu peut être enfermé dans un cercle, on trouvera qu'il peut de même être enfermé dans un carré; car si on prend la distance qu'il y a de l'extrémité des pieds à celle de la tête, et qu'on la rapporte à celle des mains étendues, on trouvera que la longueur et la largeur sont pareilles, de même qu'elles le sont en un carré parfait.
Si donc la nature a tellement composé le corps de l'homme, que chaque membre a une proportion avec le tout, ce n'est pas sans raison que les anciens ont voulu que dans leurs ouvrages ce même rapport des parties avec le tout fût exactement observé.
Mais parmi tous les ouvrages dont ils ont réglé les mesures, ils se sont principalement attachés à déterminer les proportions des temples des dieux, dans lesquels ce qu'il y a de bien ou de mal fait est exposé au jugement de la postérité.
La division et même la nomenclature de toutes les mesures pour les différents ouvrages ont été prises sur les parties du corps humain; c'est ainsi que l'on a eu le doigt, la palme, le pied, la coudée, etc., etc., et ces divisions ont été réduites à un nombre parfait, que les Grecs appellent telion.
Rien n'étant plus difficile à éradiquer qu'une opinion répandue, quelques lecteurs seront surpris qu'en plus des ordres ionique, dorique et corinthien dont il donne les origines, Vitruve fasse une place importante au toscan et plus encore qu'il s'élève contre le composite donné pour récent par les auteurs modernes.
Voici le texte latin et sa traduction par Pierre Gros, les Belles Lettres, 1992 :
LIVRE N 1, 12 : "Sunt auteur quae isdem columnis inponuntur capitulorum genera uariis uocabulis nominata, quorum nec proprietates symmetriarum nec columnarum, genus aliud nominare possumus, sed ipsorum uocabula traducta et commutata ex corinthiis et puluinatis et doricis uidemus, quorum symmetriae sunt in nouarum scalpturarum translatae subtilitatem."
"Les chapiteaux corinthisants ou composites
Il existe aussi d'autres types de chapiteaux auxquels on applique une terminologie variée, et qui trouvent place sur les mêmes colonnes; nous ne pouvons désigner comme un autre ordre ni les particularités de leur système proportionnel ni celles de leurs colonnes: nous constatons au contraire que les noms qui sont les leurs dérivent par transposition de ceux des ordonnances corinthiennes, ioniques et doriques, dont les relations modulaires ont été recomposées pour répondre aux raffinements de la sculpture moderne".
Il compare les proportions des trois ordres grecs à celles de l'homme, de la femme et de la jeune fille et tout naturellement, cette distinction lui sert à déterminer le style des temples et des autres édifices suivant leur destination.
C'est également dans le livre IV que nous trouvons la touchante histoire du chapiteau corinthien, telle qu'elle est encore contée de nos jours.
"Le troisième genre de colonnes est appelé corinthien, il représente la délicatesse d'une jeune fille à qui l'âge rend la taille plus dégagée et plus susceptible de recevoir les ornements qui peuvent augmenter la beauté naturelle. L'invention de son chapiteau est fondée sur cette rencontre.
Une jeune fille de Corinthe, à peine nubile, mourut subitement: lorsqu'elle fut inhumée, sa nourrice alla porter sur son tombeau, dans un panier, quelques petits vases que cette fille avait aimés pendant sa vie, et afin que le temps ne les gâtât pas aussi promptement en les laissant à découvert, elle mit une tuile sur le panier, qu'elle posa par hasard sur la racine d'une plante d'acanthe ; il arriva, lorsque au printemps les feuilles et les tiges commencèrent à sortir, que le panier qui était sur le milieu de la racine fit élever le long de ses côtés les tiges de la plante qui, rencontrant les coins de la tuile, furent contraintes de se recourber en leurs extrémités, et produisirent le contournement des volutes.
Le sculpteur Callimachus, que les Athéniens appelèrent Catatechnos à cause de la délicatesse et de l'habileté avec lesquelles il taillait le marbre, passant auprès de ce tombeau, vit le panier et la manière dont ces feuilles naissantes l'avaient environné. Cette forme nouvelle lui plut infiniment, et il en imita la manière dans les colonnes qu'il fit depuis à Corinthe, établissant et réglant sur ce modèle les proportions et la manière de l'ordre corinthien".
"Les temples des dieux doivent être tournés de telle sorte que, pourvu qu'il n'y ait rien qui l'empêche, l'image qui est dans le temple regarde vers le couchant, afin que ceux qui iront sacrifier soient tournés vers l'orient et vers l'image, et qu'ainsi, en faisant leurs prières, ils voient tout ensemble et le temple et la partie du ciel qui est au levant, et que les statues semblent se lever avec le soleil pour regarder ceux qui les prient dans les sacrifices: enfin il faut toujours que les autels soient tournés au levant.
Si néanmoins cela ne se peut pas faire commodément, le temple doit être tourné de telle sorte que, du lieu où il sera, l'on puisse voir une grande partie de la ville, ou s'il est proche d'un fleuve, comme en Egypte, où l'on bâtit les temples sur le bord du Nil, il regardera vers la rive du fleuve. La même chose sera aussi observée si l'on bâtit le temple proche d'une grande rue, car il le faudra tourner en sorte que tout le monde puisse le voir et le saluer en passant."
"Les autels doivent être tournés vers l'orient, et doivent toujours être placés plus bas que les statues des dieux qui sont dans le temple, mais avec des hauteurs différentes; de sorte que, selon l'importance et la dignité de chaque divinité, ils soient plus ou moins élevés au-dessus de ceux qui font leurs prières et leurs sacrifices. Cette différence doit être telle que les autels de Jupiter et des autres dieux du ciel soient très élevés, tandis que ceux de Vesta et des dieux de la terre et de la mer soient très bas. En général, ce sont les lois de la religion qui fixent la manière de placer les autels dans les temples."
Le symbolisme est en accord avec le sens pratique, ce qui et une règle générale.
Il traite de l'architecture civile, de la répartition des édifices dans la cité. La basilique qui en est le prolongement couvert, servant aussi bien de marché que de tribunal, doit ouvrir sur le Forum. Après Constantin, la basilique servira de modèle aux premières églises qui contrairement aux temples, demeures des dieux, devaient abriter de nombreux fidèles.
Vitruve nous décrit celle de Fano dont il est l'auteur. Par sa charpente élaborée, elle donne une impression de légèreté et évite une rangée de colonnes supérieures.
"Les basiliques sont susceptibles de réunir tout ce que l'architecture a de beau et de majestueux. J'en ai fait bâtir une en la colonie julienne de Fano où j'ai observé les proportions qui suivent: la nef centrale est longue de cent vingt pieds et large de soixante. Les portiques qui sont aux côtés de la grande voûte, entre les murs et les colonnes, ont vingt pieds de largeur; les colonnes avec les chapiteaux ont toutes cinquante pieds de hauteur et cinq de diamètre; elles ont derrière elles des pilastres de vingt pieds de hauteur, larges de deux pieds et demi, et épais d'un pied et demi, pour soutenir les poutres qui portent les planchers des portiques. Sur ces pilastres, il y en a d'autres de dix-huit pieds de hauteur, de deux pieds de largeur et d'un seul d'épaisseur, qui soutiennent les poutres qui portent les forces et tout le toit des seconds portiques, dont les faîtes sont un peu plus bas que la grande voûte; les espaces qui sont entre les poutres posées sur les pilastres et celles qui sont sur les colonnes sont disposés pour donner du jour par les entrecolonnements.
Les colonnes qui sont à droite et à gauche dans la largeur de la grande nef sont au nombre de quatre, y compris celles des angles; dans la longueur, sur le côté adjacent et parallèle à la place publique, il y en a huit en comprenant aussi celles des angles: mais au côté opposé il n'y en a que six, parce que les deux du milieu sont ôtées, afin qu'elles n'empêchent point la vue du temple d'Auguste qui se trouve placé au centre de cette face dans l'axe de la place publique et du temple de Jupiter. Il y a aussi dans le temple d'Auguste un tribunal formant presque un demi cercle, ayant quarante six pieds de front et quinze seulement de profondeur; il est ainsi renfermé afin que les gens qui sont dans la basilique pour trafiquer n'incommodent point les plaideurs qui sont devant les juges.
Il y a sur les colonnes un assemblage de charpente composé de trois poutres de deux pieds d'épaisseur qui sont jointes ensemble; ces poutres se détournent au droit de la troisième colonne du dedans de la basilique, pour aller jusqu'aux antes qui sont à l'extrémité du porche, et vont rejoindre les murs qui vont à droite et à gauche du demi-cercle.
Sur cette charpente, au droit des chapiteaux des colonnes, il y a des piles hautes de trois pieds et larges de quatre en carré qui soutiennent d'autres assemblages de charpentes composées de poutres de deux pieds d'épaisseur bien jointes, et sur lesquelles sont posés les entraits et les contrefiches au droit de la frise qui est sur les antes des murs du porche; elles soutiennent le faîte qui va tout le long de la basilique et celui qui la traverse au milieu et s'étend sur le vestibule.
Ce double étage de toitures formé par les toits latéraux et celui de la grande voûte qui s'élève au-dessus forme un aspect agréable.
De plus, on épargne beaucoup de peine et de dépenses en suivant cette méthode, qui permet de supprimer la partie de l'entablement qui est au-dessus des architraves, les balustrades, et le second rang des colonnes. Cependant, ces hautes colonnes, élevées jusqu à l'architrave sur laquelle la voûte est posée, ajoutent encore à la majesté et à la magnificence de l'ouvrage".
C'est avec le théâtre qu'il devra faire preuve de connaissances variées dont l'acoustique et la musique pour laquelle il renvoie le lecteur aux ouvrages des Grecs d'après lesquels il décrit les trois gammes musicales en usage. La description des théâtres romains et grecs est complète et il va jusqu'à décrire les scènes pour le tragique, le comique et le satirique..
Les thermes sont également décrits avec précision et nous y trouvons un sauna à température réglable
"Le laconicum, ou étuve à faire suer, doit être joint avec l'étuve qui est tiède, et il faut que l'une et l'autre aient autant de largeur qu'elles ont de hauteur jusqu'au commencement de la voûte, qui est en demi-rond; au milieu de cette voûte, on doit laisser une ouverture pour donner du jour, et y suspendre avec des chaînes un bouclier d'airain par le moyen duquel, lorsqu'on le haussera ou baissera, on pourra augmenter ou diminuer la chaleur qui fait suer."
Ce livre se termine par les méthodes de construction des ports et de la maçonnerie dans l'eau.
Dans la préface de ce livre consacré à l'habitation, il fait citant Théophraste éloge de la science: "Parmi les hommes, il n'y a que ceux qui sont savants qui ne soient point étrangers hors de leur pays; s'ils viennent à perdre leurs amis, ils ne manqueront point de personnes pour les remplacer, ils sont citoyens de toutes les villes...". Il distingue les maisons romaines plus conviviales que celles des grecs et indique l'orientation qu'il convient de donner aux pièces en fonction de leur utilisation, leçon qui sera bien comprise par Palladio. C'est toujours le bon sens :
"Nous allons expliquer maintenant les qualités que doivent avoir les différents genres de bâtiments, suivant l'usage auquel ils sont destinés, et vers quel aspect du ciel ils doivent être tournés.
Les salles à manger d'hiver, ainsi que les bains, doivent regarder le couchant d'hiver, parce que l'on y a principalement besoin de la clarté du soir, et que le soleil couchant, les éclairant directement, y répand une chaleur assez douce vers le soir. Les chambres à coucher et les bibliothèques doivent être tournées au soleil levant, parce que leur usage demande la lumière du matin, et en outre que les livres ne se gâtent pas si facilement dans ces bibliothèque que dans celles qui regardent le midi ou le couchant, lesquelles sont sujettes aux vers et à l'humidité, parce que la même humidité des vents qui fait naître et qui nourrit les vers fait aussi moisir les livres.
Les salles à manger dont on se sert au printemps et en automne doivent être tournées vers l'orient; car par le moyen des fenêtres que l'on tient fermées jusqu'à ce que le soleil soit tourné vers le couchant, on entretient dans ces lieux une température moyenne pour le temps que l'on a coutume de s'en servir. Les salles qui sont pour l'été regarderont le septentrion, parce que dans cette situation elles seront constamment rafraîchies et d'une habitation saine et agréable, n'étant point exposées aux ardeurs du soleil, dont la chaleur est insupportable, surtout pendant le solstice d'été. Cet aspect est aussi fort convenable pour les salles de tableaux, et pour les ateliers des tisseurs et des peintres, parce que la lumière est égale à toute heure, et entretient les couleurs toujours en un même état".
Les chevaux et les chèvres sont l'objet de sa sollicitude à la fin de ce chapitre qui traite des bâtiments agricoles.
Il traite du second oeuvre, de la lutte contre l'humidité, du stuc, de la mosaïque et de la fresque et enfin des couleurs et des moyens pour les obtenir. Certaines devaient être importées de fort loin : " la lie de vin desséchée et brûlée dans un fourneau fait aussi un fort beau noir, principalement si la lie est de bon vin, car alors on peut en obtenir un noir qui approche de la couleur de l'Inde." La visite de Pompéi et du musée de Naples confirment parfaitement ce livre.
La recherche, le transport et le traitement des eaux furent avec le thermalisme l'objet de grands travaux partout où l'armée romaine a séjourné. Faire contribuer les hommes de guerre au bien-être de l'humanité en temps de paix, idée qui mériterait d'être reprise d'une manière plus efficace actuellement est une grande spécialité des romains. Ce traité est également très complet, l'hygiène ni les maladies professionnelles ne sont oubliées :
"Les tuyaux de poterie ont cet avantage qu'il est facile de les bien réparer quand ils en ont besoin, et que Veau y est beaucoup meilleure que dans des tuyaux de plomb, dans lesquels il s'engendre de la céruse, que l'on regarde comme fort dangereuse pour le corps; et par cela même, il y a apparence que le plomb doit être lui-même nuisible pour la santé, si ce qui s'engendre de ce métal est dangereux. Cela est du reste prouvé par les plombiers que l'on voit d'ordinaire être pâles, à cause de la vapeur qui s'élève du plomb quand on le fond, et qui, pénétrant dans le corps, brûle les parties et corrompt le sang: de sorte que, pour avoir de bonne eau, il ne faut pas l'amener dans des tuyaux de plomb. Elle est même plus agréable à boire quand elle a été conduite dans de la poterie; aussi, voit-on ceux qui ont des tables garnies de quantité de vases d'argent trouver l'eau meilleure quand ils la boivent dans de la terre."
Après avoir traité de l'espace, c'est la mesure du temps qui impose un retour à la géométrie dont il a été traité depuis le début de l'oeuvre et la connaissance de l'astronomie.
La mesure du temps est indissociable de l'espace y compris de nos jours, une vibration aussi faible soit-elle est un déplacement. L'astronomie indiquait le temps et la durée était mesurée en divisant le jour (et la nuit) en 12 parties égales comptées du lever au coucher du soleil, ce qui crée parfois des confusions pour l'interprétation des textes anciens. L'art d'établir des cadrans solaires pour différentes époques et différentes latitudes faisait partie des connaissances du constructeur. Cet art s'est conservé jusqu'à Desargues.
Consacré aux machines, ce dernier livre, plus technique, ne manque pas d'intérêt ni même d'exemples à une époque où la profusion des moyens a détruit l'ingéniosité chez les ingénieurs.
Elle se dégage avec évidence de son oeuvre, c'est homme pragmatique, observateur de la nature et respectueux de ses lois. Un beau discours peut faire illusion, une construction ne tient debout que si les règles sont appliquées.
La Rome de son époque avait de nombreux Dieux à qui l'on élevait des autels en tenant compte de leur spécificité, les Saints les ont remplacés avec plus ou moins de bonheur en en reprenant le logis et parfois le nom.
La pluralité était génératrice d'une pensée libre chez ceux qui, leur construisant des Temples aidaient les dieux à remplir leurs fonctions :
"La convenance que requiert la nature des lieux, consiste à choisir les endroits où l'air et les eaux sont les plus sains pour y placer les temples, principalement ceux qu'on bâtit au dieu Esculape, à la déesse Santé et aux autres divinités, par qui l'on croit que les maladies sont guéries; car, par le changement d'un air malsain à un air salutaire, et par l'usage de meilleures eaux, les malades pourront se guérir plus aisément, ce qui augmentera beaucoup la dévotion du peuple, qui attribuera à ces divinités la guérison qu'il doit à la nature salutaire du lieu ".
Les maçons étaient déjà "de la religion du pays" dans lequel ils travaillaient, tout en conservant des conceptions dangereuses pour leurs auditeurs et pour eux-mêmes, non que l'intolérance ait été plus grand que de nos jours, mais du fait d'une justice plus expéditive. Une élémentaire prudence, jointe au désir de ne pas troubler ses concitoyens explique sa réserve sur ses conceptions métaphysiques.
C. G.
16 avril 2001
Site d'origine : www.cgagne.org (fermé)