La vie quotidienne à Babylone

LA VIE DES BABYLONIENS

tiré de Babylone,
par Marguerite Rutten

Editions Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?
Editions de 1948


Pour essayer de reconstituer la vie des anciens Babyloniens, il est utile de regarder vivre les indigènes à Baghdad, par exemple.

Babylone - fresque d'un lion - 580 av JC.

La batellerie

Le trafic qui se faisait autrefois sur les rives de Babylone devait être intense. Deux sortes d'embarcations sont particulières à la région les « couffes » et les « kéleks ». On nomme « couffe » une sorte de corbeille ronde que l'on porte sur la tête. Par extension les « couffes » sont d'énormes récipients circulaires à bord renflé (rappelant la forme d'un tambourin), faits de joncs tressés très serrés ; le fond est tapissé de toile, de peau et surtout abondamment calfaté par du bitume auquel on additionne de la terre très fine, tassée avec soin pour obtenir une réelle imperméabilité. Malgré son poids, l'embarcation flotte suffisamment pour supporter une charge. Les troupeaux sont fréquemment embarqués dans ces bateaux. Un ou deux hommes manoeuvrent la « couffe » à la godille et l'empêchent de tourner sur elle-même en dérivant. On reste confondu devant l'habileté des bateliers indigènes conduisant la couffe chargée au point que l'eau affleure le bord et qui, en longeant la rive, parviennent même à remonter le courant ! Ce type de bateau se trouve représenté sur les bas-reliefs assyriens de la première moitié du Premier millénaire, transportant chars de guerre et des prisonniers. A Baghdad, les types de bateaux qui sillonnent le Tigre sont encore les mêmes que ceux des bas-reliefs. On peut donc tenir pour certain que tout comme les Baghdadiens modernes sur le Tigre, les anciens Babyloniens voyaient les mêmes bateaux chargés sur l'Euphrate. Le second type, également très répandu, est le "kelek". C'est en réalité un radeau dont la capacité de flottaison est renforcée par une certaine quantité d'outres gonflées d'air fixées au-dessous. Ces outres sont faites de peaux de moutons dont on a coupé la tête et le bout des pattes. Une longue rame est fixée à l'arrière du radeau et sert de gouvernail. Le conducteur le conduit à la gaffe en l'écartant des rives et des bancs de sable. Le « kélek » peut porter des charges considérables. On s'est servi de ces sortes de radeaux pour transporter les monuments de Khorsabad et les taureaux ailés qui ornent les salles du musée du Louvre et qui pesaient jusqu'à 12.000 kilogrammes.
L'emploi du « kélek » est limité à la descente du fleuve. Lorsqu'il est parvenu au sud de l'Iraq, les marchandises sont déchargées et le kélek est démonté. Le bois étant rare dans le sud, on vend l'armature du radeau ; les peaux sont dégonflées et pliées puis chargées sur des ânes qui remontent vers le nord où le batelier préparera un nouveau transport.
La batellerie était très prospère au temps de Babylone. La location des barques fût réglementée et les devis de construction très détaillés usent d'un vocabulaire nautique technique dont nous ne pouvons pas toujours trouver la traduction.
Les anciens habitants de la Mésopotamie donnaient aux points cardinaux un idéogramme qui est celui du Vent et que l'on peut interpréter peut-être comme une voile. Il existe aussi un troisième type que l'on voit également de nos jours. Ce sont des bateaux appelés « mahonnes » dont la voile en natte de joncs a la forme d'une aile de mouette. Ils ont une contenance relativement faible mais peuvent caboter dans le delta. En général, ils sillonnaient les canaux pour le transport des dattes, du grain, des farines, des fruits et des peaux.
Dès l'aurore de l'histoire, les Sumériens ont navigué dans les lagunes du golfe Persique au milieu des marécages, dans des barques légères de faible tonnage. Les tombes ne manquent pas de nous donner des modèles réduits de barques en terre cuite ou en matière précieuse pour les personnages importants, destinés au mort dans sa vie de 1 audelà. En 689, lorsque Sennachérib décida son expédition punitive sur Babylone, il résolut de l'atteindre par la voie fluviale. La flotte de guerre assyrienne fut exécutée partiellement par des Phéniciens à Til Barsip sur le Haut Euphrate ; et elle devait fusionner avec celle de Ninive. La flottille du Tigre fut mise en partie sur des rouleaux et pour cela il fallait des bateaux d'un tonnage limité. Pour cette expédition navale les deux flottes se rejoignirent sur le canal Arâhtou et nous avons vu (p. 28) le piteux état dans lequel se trouva Babylone après le sac des Assyriens.

Babylone - porte d'Ishtar - taureau - 580 av JC

Les demeures

Les maisons indigènes, les venelles, les marchés sont à l'image de ceux du passé et nous permettent de retrouver sur certains points, le reflet de l'Ancien Orient. Il est des modalités de l'existence d'autrefois qui demeurent inchangées, parce qu'elles appartiennent aux habitudes ancestrales et sont dues au climat. Les moeurs de l'Orient sont très différentes des nôtres. Ce que nous recherchons pour nos maisons d'habitation : la lumière, l'air et la vue, y sont au contraire, écartés, et les larges baies ayant vue sur l'extérieur sont proscrites. Il y a pour cela plusieurs raisons. Tout d'abord l'oriental se garde de tout regard qui pourrait plonger chez lui. Mais c'est surtout ce soleil que nous recherchons qui doit être évité. Baghdad connaît l'été 50° à l'ombre, et Babylone était dans le même cas. Les Mésopotamiens avaient, du reste, dans leurs conceptions religieuses donné le pas au dieu Lune, propice aux caravanes, qui, l'été surtout, ne circulaient que la nuit. Le soleil, implacable, était considéré comme un justicier. Du reste, les différentes phases du soleil étaient distinguées dans le culte qu'on lui rendait: au soleil du premier matin dissipant les ombres froides de la nuit, on attribuait un pouvoir fertilisant ; le soleil de midi était néfaste et associé aux divinités des épidémies et des Enfers, comme Nergal.
Dans les maisons orientales, la porte n'est le plus souvent, que la seule ouverture ; le matériau employé à la construction : la brique crue demande, pour être solide, une grande épaisseur qui convient à merveille pour préserver de la chaleur, mais qui oblige aussi à ne pas laisser des ouvertures rompre la solidité des parois. On a retrouvé dans la région de Babylone une maison antique dont les murs étaient entièrement conservés; dans une pièce, un peu d'air et de lumière pénétraient par une sorte de petit soupirail ménagé dans l'a paroi du mur et fermé par une plaque en terre cuite percée de trous de place en place. Il est évident qu'on a voulu non seulement éviter l'introduction de bêtes à l'intérieur de la maison, mais aussi que l'on a cherché à écarter toute possibilité de vue à l'intérieur comme avec les « moucharrabieh » modernes ou les « jalousies » de l'Espagne... Les façades des maisons, aussi bien sur la rue que dans les jardins étaient donc à peu près aveugles. Autour d'une cour centrale que l'on retrouve dans le « patio » espagnol, les chambres accédaient directement à une sorte de déambulatoire protégé par un auvent. Sur une face de la maison, un couloir de sortie donnait sur la rue. Si on avait la chance d'être au-dessus d'une nappe d'eau, on perçait un puits dans la cour, sinon on conservait la provision d'eau dans des jarres à demi enterrées dans le sable. Souvent, on n'avait qu'un foyer en plein air pour cuisiner, mais parfois on plaçait un fourneau dans une cuisine. Les ouvertures des portes étaient fermées par des battants en bois ; le sol était le plus souvent en terre battue, recouvert ensuite de nattes; il est plus rare de trouver un sol recouvert de carreaux en céramique. Dans les récits d'Hérodote, on relève l'affirmation que les maisons de Babylone avaient trois ou quatre étages. Dans les fouilles, on n'a retrouvé que l'amorce du premier, mais on n'est pas parvenu à retrouver les vestiges des étages supérieurs. Le long de la paroi intérieure de la maison, l'auvent qui couvrait le déambulatoire du rez-de-chaussée servait de balcon au premier et reliait les chambres du premier comme celles d'en bas. Un escalier très raide pareil à ceux qu'on utilise actuellement, même au Maroc, était quelquefois en briques mais le plus souvent, il était en bois. Le toit était, comme de nos jours, constitué par des troncs de palmiers jetés d'une paroi à l'autre de la pièce. Sur ces poutres, on posait ensuite des lits de roseaux sur lesquels on tassait de la terre au moyen d'un rouleau. On laisse souvent encore le rouleau sur le toit; lorsque des fissures se produisent, il faut remettre de la terre et la tasser. Les parois extérieures et intérieures étaient badigeonnées par un lait de chaux. Il n'y avait pas de cave, mais parfois. une pièce, dont le sol est en contre-bas, sert de cellier comme le "serdab" des maisons de Baghdad. Il y avait, souvent, un jardin accompagnant la maison, et c'est ce qui peut expliquer l'étendue de Babylone.

Babylone - rue des processions - lion - 580 av JC

Les « souks » et le « centre » de Babylone

Prenons encore exemple des quartiers populeux d'une ville d'Orient pour reconstituer les quartiers commerçants de l'ancienne capitale tout en nous aidant des données des tablettes.
A une demi-heure d'auto environ d'une grande ville de l'Orient, les maisons et les jardins surgissent d'abord espacés puis, de plus en plus serrés. A n'approche de la cité.es routes se remplissent de piétons qui se hâtent, de charrettes tirées par des boeufs, d'ânes chargés avec le plus profond mépris de l'équilibre, de caravanes de chameaux guidées traditionnellement par un âne et aussi de troupeaux de moutons. Tout cela se dirige vers les entrées dans un enchevêtrement inévitable. Arrivé aux portes tout le monde piétine et se bouscule : c'est l'octroi : A Palmyre, on a retrouvé un tarif officiel où sont notés les prix perçus pour les esclaves, pour les fruits secs, le grain, la paille, les parfums, l'huile, la graisse, les salaisons, les troupeaux, le sel ! Cette nomenclature indique bien, en général, tout le trafic auquel se livraient les caravanes. Après avoir rempli les formalités exigées à l'entrée, les gens se répandaient dans la ville vers les places où se réunissaient les marchands en plein air ou bien ils se dirigeaient vers les « souks » (le mot « soukou » était le nom babylonien de la « rue »). Ce sont des petites rues étroites où les marchands sont installés à l'abri des intempéries et du soleil et qui sont couvertes de vélums - comme on le voit encore dans les rues de Séville, par exemple. Bien qu'on n'ait pas pu retrouver le « Grand Marché » de Babylone, sans doute parce que l'installation y était tout à fait provisoire, pour les mêmes raisons que dans les villes modernes, on a retrouvé le « Centre » des affaires à l'est du Qasr, en un endroit nommé « Merkès » - dont la traduction exacte serait : « le Noeud » . Une construction très importante s'y trouvait dont la destination n'a pas été identifiée. C'était là le quartier des affaires le plus ancien et le plus important de Babylone.

Babylone - porte d'Ishtar.jpg

La vie commerciale

De nos jours, ce sont de véritables « groupements économiques » que nous trouvons dans les « bazars » de Téhéran, de Baghdad et d'Istamboul, pour ne citer que ces villes. Les vendeurs sont groupés par catégories, de sorte que ce sont des rues entières pour les cuirs, ou les objets de métal ou encore les tissus, les parfums ou les tapis.
Le commerce extérieur des Babyloniens était florissant. Les exportations portaient, comme de nos jours, sur les dattes, séchées ou conservées dans l'huile et qui étaient utilisées pour une foule de besoins : nourriture pour les hommes et même pour les animaux auxquels on donnait des noyaux concassés (on pouvait encore les mélanger aux excréments du chameau pour en faire un combustible pauvre). Dans tout le monde connu d'alors, le grain était expédié. Les auteurs anciens ont tous vanté la prodigieuse fertilité de la Babylonie dont le sol était a cette époque très bien irrigué. Le bitume était aussi une matière d'exportation : il servait de mortier, de colle, de liant et encore de matière pour les incrustations. Les sols des temples, des palais et des belles maisons étaient recouverts de bitume. Le pétrole que les Babyloniens appelaient : « l'huile de pierre » était utilisé également, mais sans doute sans raffinage, car nous n'en avons pas retrouvé d'indication. La laine était exportée ; elle était exploitée par diverses industries. Le tissu que les Grecs ont appelé : « kaunakès » est un tissu de laine que l'on trouve encore de nos jours et a l'aspect d'une fourrure ondée. Les tissus brodés étaient si réputés déjà dans l'Antiquité que les Gréco-Romains nommaient « travail babylonien » la broderie. Les bas-reliefs antiques ont méticuleusement indiqué les dessins des tapis et des étoffes ; les monuments de nos musées sont très instructifs, et on y trouve de beaux motifs décoratifs, dignes d'être reproduits. Plus tard, à l'époque sassanide, les sculpteurs exécutent de véritables petits tableaux sur les vêtements des rois et des gens de la cour. Les morceaux d'étoffe qui sont parvenus de cette période confirment les décors des bas-reliefs. L'Orient moderne nous donne aussi le moyen de restituer par la pensée l'industrie du métal travaillé à la gravure et incrusté, dont les cuivres modernes ne sont qu'une imitation ; de même, le travail du cuir qui s'est propagé jusqu'à Cordoue se laisse deviner par les bas-reliefs où les harnachements de chevaux et les selles offrent une variété de décoration des plus riches. Le travail de la poterie était aussi très développé; à côté des ustensiles courants, on fabriquait de très grands récipients pour les dattes, le grain, le vin et jusqu'à des cercueils. L'émaillerie avait aussi de nombreux débouchés, elle servait à décorer les édifices et produisait des ustensiles moins vulgaires que les simples objets en terre. Les poteries vernissées, plus tardives, nous rappellent celles de l'époque néo-babylonienne. La vannerie était une autre branche de l'activité des anciens Babyloniens; les fibres tressées des innombrables roseaux des marais et des canaux avaient des utilisations multiples : nasses, paniers, clôtures, sièges et enfin les nattes qui servaient de voile pour les bateaux, tapis sur le sol ou au bas des murs, tentes pour protéger le bétail ou rideaux pour fermer le haut des ouvertures des portes et ensevelir les morts.
La bijouterie était très développée. Sur les monuments, la parure est indiquée avec soin parles artistes. Les bijoux avaient une valeur talismanique et leur décoration était symbolique. On remarque sur les bas-reliefs les colliers et les bracelets qui ornent le cou et les bras des génies aussi bien que ceux des hommes. A ce propos un contrat a été conservé dans les archives de Nippour, appartenant au riche banquier Mourashou ; ce dernier exige des bijoutiers auxquels il a acheté une bague avec une émeraude que le sertissage en soit garanti pendant vingt ans. Un métier, moins prospère de nos jours, était celui du graveur de cachet. A Babylone, c'était le métier qui devait avoir ,le plus de clientèle, puisque chaque individu devait posséder un cachet qui garantissait sa signature et lui servait en quelque sorte de pièce d'identité. On sait que les documents écrits étaient rédigés sur des tablettes d'argile par des scribes de métier, l'écriture cunéiforme trop compliquée ne pouvant être à la portée de tous. Le document ainsi rédigé était impersonnel ; il était donc absolument nécessaire qu'il puisse être identifié; à côté des noms des intéressés, la tablette portait une empreinte du sceau de chacun d'eux. On vendait donc des sceaux portant une légende choisie par l'acheteur et représentant le plus souvent une scène religieuse, où le nom du possesseur était gravé. Mais, lorsqu'il arrivait qu'on n'eût pas de cachet gravé sur soi, on pouvait en faire faire un au nom du possesseur et de son père, sans aucune scène gravée. Les musées possèdent des collections très nombreuses et fort intéressantes de ces petits monuments ; ils permettent parfois de reconstituer à eux seuls l'art d'une époque dont les grands monuments peuvent avoir disparu. Ils sont décorés de thèmes religieux qui sont en quelque sorte les illustrations des souhaits que le fidèle espérait voir se réaliser ; comme le sceau était en contact direct avec son possesseur, pressé sur sa poitrine, il servait aussi bien d'amulette que de signature. Il était fréquent de les disposer dans les dépôts de fondations des édifices, en offrandes aux dieux. Le mort emportait même son cachet dans la tombe où on en a fréquemment retrouvé. Cette coutume est indiquée dans le « Cantique des Cantiques » où la Bien-Aimée dit :
Mets-moi comme un sceau sur ton coeur,
comme un sceau sur ton bras,
car l'amour est fort comme la mort (VIII, 6).

Quant au métier de scribe il était d'un niveau plus élevé, semble-t-il, que celui de notre écrivain public d'autrefois.
Pour faire revivre la vie commerciale de Babylone, nous pouvons encore utiliser la description du « commerce » de la « Babylone » symbolique de l'Apocalypse de Saint Jean :
     Et les marchands de la terre pleurent et sont dans le deuil à cause d'elle parce que personne n'achète plus leur cargaison, cargaison d'or, d'argent, de pierres précieuses, de perles, de fin lin, de pourpre, de soie, d'écarlate, de toute espèce de bois de senteur, de toute espèce d'objets d'ivoire, de toute espèce d'objets en bois très précieux, en airain, en fer et en marbre, de cinnamome, d'aromates, de parfums, de myrrhe, d'encens, de vin, d'huile, de fine farine, de blé, de boeufs, de brebis, de chevaux, de chars, de corps et d'âmes d'hommes.


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