4 - Le sport en Grèce : vertu éducative et vie de la cité
Le sport qui contribuait au rayonnement des cités, était également associé aux activités de l'esprit dans le programme d'éducation du citoyen : l'éphébie.
Si les athlètes appartenaient généralement à de grandes familles, seules capables d'assurer les dépenses nécessaires à une préparation intense et coûteuse, bientôt les villes entretinrent elles-mêmes de jeunes champions de condition modeste : ce fut la première manifestation du sport étatisé.
Malheureusement l'idéal grec se dévoya au fil des siècles. Toutefois l'olympisme perdura jusqu'à l'avènement de l'Empire chrétien (IVième siècle après J.-C.).
4.1 - Des lois strictes au service d'un idéal
Les athlètes étaient contraints de suivre un entraînement surveillé d'au moins 30 jours avant d'être admis dans l'arène olympique (alimentation adaptée, exercices d'assouplissement...).
Nul ne pouvait à l'origine concourir s'il n'était pas de sang grec et de condition libre : deux notions qui se perdront au fil des Olympiades ; de même l'apparition des femmes, d'abord strictement interdite, fera l'objet de nombreuses controverses.
Le sport féminin en Grèce
Les femmes participaient aux compétitions en Grèce et notamment à Sparte. Il y avait même des Jeux féminins, les Héréia d'Olympie ! Ces jeux se déroulaient entre deux olympiades. Ils consistaient en une course de jeunes filles, sur une longueur équivalent à cinq sixième de stade. Pausanias les décrit :
«[...] courant, les cheveux épars, la robe retroussée un peu au-dessus du genou, et l'épaule droite nue jusqu'au sein».
Mais à Athènes, le sport féminin souleva de nombreuses controverses. Ainsi l'historien Xénophon était d'avis que les femmes fussent sportives, car il n'admettait pas que, si elles restaient constamment au foyer pour filer la laine, elles puissent mettre au monde des êtres vraiment sains !
Platon, influencé par l'exemple de Sparte, voulait, dans les Lois, rendre l'éducation sportive obligatoire pour les deux sexes ; quant à Aristote, il préconisait avec prudence l'alternance des travaux corporels et spirituels.
Toutefois, si les femmes concouraient, il était interdit -- sous peine de mort -- aux femmes mariées d'assister aux Jeux olympiques, mais les jeunes filles le pouvaient.
Pourquoi une telle sélection ?
La compétition n'était pas appréciée pour la seule performance des athlètes. Le concept de jeu panhelléniques a permis aux grecs si divisés, jaloux de leurs territoires, de trouver une certaine unité : un idéal commun. Rassemblés tous les quatre ans à Olympie, et entre-temps à Delphes, à l'Isthme et à Némée, ils parviendront à sauvegarder longtemps une unité morale. Cette unité de civilisation était revivifiée par un esprit de compétition (l'agôn) qui engageait le prestige des individus et de leurs cités non seulement dans des affrontements athlétiques mais aussi dans des joutes musicales, poétiques, rhétoriques ou philosophiques.
La culture physique en Grèce
Tournés vers la science du corps et de la médecine, les Grecs considèrent l'exercice physique comme un moyen de conserver la santé ou de la retrouver. Dès l'enfance, l'athlète cultivait son corps et employait toute son énergie à le parfaire. Á Sparte, le dressage avait pour seul but de faire des soldats, tandis qu'à Athènes l'éducation, plus équilibrée, visait aussi l'harmonie, la santé et le beau en soi : «la gymnastique pour le corps, la musique pour l'âme» (La République de Platon, 376e).
L'enseignement dispensé par le pédotribe au jeune athénien se fait essentiellement dans la palestre. Tout un rite accompagnait le gymnaste : avant chaque entraînement, le jeune athénien se lave à la fontaine puis il se frotte entièrement d'huile et répand sur ses membres du sable et de la poussière destinées à protéger son corps.
Pour s'exercer l'athlète pratiquait divers exercices d'assouplissement (jeux de balles, de cerceau, le korykos (punching-ball)...) et suivait un régime correspondant au sport pratiqué. Ainsi Galien et Hippocrate ont mis en garde contre les excès d'un entraînement peu adapté. Ce régime était associé à un sévère programme de repos et de purges. La continence était aussi préconisée.
4.2 - Le sport, l'éducation et l'éphébie
Solon a retracé ce programme dans le dialogue de Lucien, Anacharsis ou des exercices du corps. Á côté des «grammatistes» et des «citharistes», qui enseignaient les lettres et la musique, le «pédotribe» formait dans la palestre (lieu de la lutte), les corps des futurs soldats. Á l'époque classique, le sport deviendra un moyen d'acquérir la force et la beauté. Par cet enseignement complet, le jeune grec pouvait atteindre l'équilibre de la beauté alliée à l'esprit (kalos kagathos), idéal qui tendra à disparaître dès l'époque hellénistique.
La cuisine du stade
L'entraînement intensif et la soif de vaincre poussaient les athlètes à adopter un régime spécifique.
Aux origines, les athlètes se nourrissaient exclusivement de pain peu fermenté et peu cuit. Bientôt s'ajoutèrent à ce régime très strict du fromage et des figues sèches.
Au Vième siècle avant J.-C., un champion, Dromeus de Stymphale, eut l'idée de suivre un régime à base de viande, et celle-ci devint dès lors le principal aliment des athlètes. Les viandes n'étaient jamais bouillies mais consommées en grillades saupoudrées de fines herbes comme l'aneth. Les gâteaux étaient proscrits de même que les boissons froides. Galien prétend que les athlètes ne buvaient pas de vin «immédiatement après leur exercice», ce qui n'exclut pas qu'ils aient pu en consommer, fortement mêlé d'eau, lors des repas.
Les repas duraient longtemps car les athlètes mangeaient beaucoup et lentement. D'où une image très négative de la gloutonnerie des athlètes, accentuée par la légende : on racontait que le célèbre Milon de Crotone avalait en un repas 20 mines de viande, soit 8,6 kg de viande ! En réalité ce gavage ne concernait que les athlètes de combat. Les coureurs et les pentathlètes étaient sveltes et beaux.
4.3 - La professionnalisation des sportifs : la fin de l'idéal grec ?
Le sport, apanage de l'aristocratie, devient la source du revenu des mercenaires
Cependant au fil des siècles, la belle pureté originelle se dévoya et à partir du IVième siècle avant J.-C. la qualité des concurrents baissa tandis que les hommes de haut rang cédaient peu à peu la place à des mercenaires. L'idéal désintéressé disparut.
Les athlètes étaient-ils nus ?
Les athlètes se dévêtaient sans doute pour l'exercice. Mais il faut être peu sportif pour croire raisonnablement que les concurrents s'affrontaient absolument nus. Par ailleurs les textes relatifs au sport sont ambigus : le terme grec employé, gymnos peut signifier «nu» ou «presque nu».
Si la nudité grecque était de règle pour toutes les représentations artistiques et si elle est restée aussi légendaire, c'est qu'elle correspondait à un idéal de beauté. La nudité des athlètes était donc une convention artistique et esthétique qui ne reflète pas la réalité. Les athlètes avaient en fait le corps recouvert d'huile saupoudrée de poussière, qui leur donnait un aspect encore plus sculptural, et ils étaient dotés d'un suspensoir, accessoire attaché au sexe, indispensable à l'exercice.
Du IVième siècle au IIIième siècle sophistes, rhéteurs et philosophes (Platon dans Lachès ou Philostrate) ne cessèrent de critiquer cette décadence, remettant en cause la professionnalisation de l'athlétisme au nom de l'équilibre et de l'harmonie des formes et de l'esprit : le champion en quête de performance néglige l'enseignement des lettres et entraîne son corps à outrance.
Même si l'idéal de perfection se dévoya rapidement, les Jeux olympiques perdurèrent.
Perdurance et fin des Jeux olympiques
La 293e olympiade, en 393, fut la dernière. Immédiatement après, un décret de Théodose Ier abolit les Jeux de l'Altis, comme les autres rassemblements panhelléniques ; seules certaines cités prolongèrent les concours : en particulier à Antioche où les concours se tiennent jusqu'en 510.
Les Jeux olympiques, bien que leur lien avec le sacré ait beaucoup faibli depuis des siècles, étaient encore un symbole de la religiosité païenne suffisamment fort pour que les chrétiens s'emploient à le supprimer, alors que les Jeux romains n'ont jamais été interdits. Ainsi le temple de Zeus à Olympie fut détruit en 426 sous Théodose II.
Au VIième siècle, un tremblement de terre, suivi de crues des cours d'eau voisins, ensevelit le site d'Olympie sous les décombres et les alluvions.
Près de douze siècles plus tard, le bénédictin Montfaucon localisa l'Altis d'Olympie en se fondant sur les textes de Pausanias. Au XIXième siècle, les archéologues allemands et français exhumèrent les vestiges d'Olympie.
Mais si Olympie est morte un jour, Pierre de Coubertin ressuscita l'esprit des Jeux olympiques. Ce fervent admirateur de l'idéal grecque organisa les premiers Jeux modernes à Athènes en 1896. En prônant l'amateurisme, il tenta de faire revivre l'esprit de la lutte désintéressée des antiques Jeux sacrés.