La vie des femmes dans la Grèce antique

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Les femmes tiennent une place de choix dans l'œuvre d'Homère.
Le vieux poète est manifestement très sensible à leur beauté et à leur charme. Il est en général rempli pour elles d'admiration, ou d'indulgence bienveillante, ou d'une pitié parfois colorée d'ironie.
Avec la sympathie d'Homère, fait un frappant contraste l'âpre misogynie d'Hésiode, le poète dévot, le rude paysan.
Hésiode déclare lui, tout net, que la femme est un présent calamiteux que les dieux ont fait aux hommes. Parée certes de séductions, mais d'autant plus dangereuse, la femme à ses yeux c'est Pandore la dispensatrice des maux.
Les griefs d'Hésiode n'ont assurément rien d'original. Il reproche surtout aux femmes leur goût de la dépense : « Qui se fie à une femme, dit-il, se fie aux voleurs. » Mais il redoute aussi leur légèreté et leur dévergondage.
Cette double attitude, bienveillante ou critique, démontre en tout cas que la femme n'est considérée par personne, admirateur ou adversaire, comme un être indifférent, qu'elle tient, au moins dans les préoccupations des poètes, un rang de choix.
Nous allons voir qu'elle joue aussi un rôle honorable dans la vie de la société homérique.

La femme à la maison

Elle n'est d'abord nullement confinée dans sa maison. Le gynécée où la femme mènerait une vie de demi-recluse n'est ni un vocable, ni une conception homérique. Quant à Hésiode, il serait plutôt tenté de reprocher à la gent féminine sa trop grande liberté d'allures.
Les femmes d'Homère, circule librement.
Elles ignorent en tout cas certainement les règles de conduite qui s'inscriront plus tard dans un traité de civilité féminine d'inspiration pythagorienne et qui n'admettent que trois motifs de sortie pour une femme honnête : la participation à une fête, les emplettes et les obligations religieuses.
Les appartements des femmes sont séparés de ceux des hommes. La chambre nuptiale est celle de l'époux, où il convie l'épouse, mais aussi, le cas échéant, quelque concubine. Dans le manoir d'Ulysse, la chambre nuptiale est au rez-de-chaussée. Le thalamos de Pénélope est situé sur la terrasse qui recouvre le mégaron, la salle d'honneur, avec laquelle elle communique par un escalier.
Les chambres des garçons qui quittent à sept ans les appartements des femmes sont construites autour de la cour. Celles des filles sont situées à l'intérieur de la maison, près de l'appartement maternel. Chez les riches, les portes en sont gardées la nuit par des chambrières.
Les femmes n'ont pas accès à la salle de bains qui est au rez-de-chaussée, dans le quartier des servantes, et qui est garnie de cuves de pierre. Il existe pour les femmes des cuves de bain portatives en métal dont elles se servent dans les appartements.
Les chambres de femmes possèdent un foyer qu'on allume même dans la belle saison, le soir, pour avoir un peu de lumière. La meilleure défense contre l'hiver, pour les femmes qui restent à la maison, n'est d'ailleurs pas le feu, mais une bonne onction d'huile bien grasse.
Les femmes habitent donc à l'écart. Elles prennent aussi leur repas séparément dans leurs chambres. Elles ne participent ni aux repas des hommes, ni aux banquets d'invités dans le mégaron. Au Vème siècle encore, Hérodote nous affirme qu'à Milet les femmes ne prenaient jamais leurs repas avec leurs maris, et s'interdisaient même de crier leur nom pour les appeler.
L'explication légendaire que l'on donnait alors de ces deux coutumes était que les premiers colons ioniens qui avaient fondé la cité avaient tué les parents de leurs femmes cariennes. En fait, la première règle paraît bien avoir été générale à l'époque d'Homère. On ne trouve pas trace, dans les poèmes, de la seconde interdiction.
Mais encore une fois, les femmes ne mènent nullement une vie de recluses. Lorsque les hommes ont fini de manger et de banqueter, elles viennent se joindre à eux. Bien mieux, elles président la réunion et dirigent la conversation.
Les dames reçoivent et font des visitent. L'Iliade nous fait assister à l'une d'elles, lorsque au XVIIIème chant, Thétis se rend chez Héphaïtos pour lui demander de fabriquer d'extrême urgence de nouvelles armes pour son fils. Tableau de genre plein de saveur. Sans doute s'agit-il en l'espèce de divinités. Mais la vie du monde divin dans Homère n'est que la transposition de celle des hommes.
Toutes ces héroïnes de l'épopée, et même les reines, sont des femmes d'intérieur. Toutes filent, tissent et brodent elles-même. Lorsqu'elles sont à la tête d'une nombreuse maisonnée, elles dirigent le travail des servantes, avec l'aide d'une ou deux intendantes, président à la fabrication et à l'entretien des vêtements de toute la famille, hommes et femmes, veillent au bon accueil des hôtes et s'occupent elles-mêmes qu'il leur soit dressé un lit confortable dans le vestibule.
Un domaine toutefois leur échappe, au moins en partie, c'est celui de la cuisine. La préparation des viandes, des rôtis surtout, est l'affaire d'hommes et les gens de la meilleure classe ne dédaignent pas d'y mettre la main.
Au personnel féminin revient seulement le traitement et la fabrication des farines, des pains, des galettes et des bouillies, dont fait grande consommation au moins le personnel domestique. Peut-être, aussi, mais c'est moins sûr, la cuisson des légumes, c'est-à-dire essentiellement des pois chiches, des fèves et des lentilles, ressource alimentaire importante pour la classe paysanne, moyenne et petite, avec le fromage et les figues sèches.
Le train de vie féminin est naturellement fort divers du sommet aux échelons inférieurs de la vie sociale. Hésiode aurait pu nous laisser un tableau coloré de la vie paysanne d'Ascra. Mais il a la gent féminine en aversion et il préfère n'en pas parler, sauf pour dénoncer sa coquetterie, sa gourmandise et la légèreté de ses mœurs. Il convient toutefois que rien ne vaut mieux qu'une bonne épouse ; mais quelle rare aubaine qui ne peut être mieux comparée qu'à un heureux coup de main.
Grâce à Homère, nous pouvons nous faire une idée moins sommaire de l'existence des femmes de l'aristocratie.

Parures et joyaux

Nous savons notamment par lui que leur toilette est affaire importante et minutieuse, conduite d'ailleurs avec discrétion et pudeur dans l'intimité des appartements féminins.
Ainsi lorsque Héré veut se parer de toutes ses séductions corporelles avant de rendre visite sur la cime du mont Ida à Zeus qu'elle entend séduire, elle s'isole dans sa chambre que défend une clé à secret.
L'épouse de Zeus, cependant, confiante sans doute dans ses charmes naturels, n'abuse pas des artifices de la parure. Ses seuls bijoux sont des fibules d'or, des pendants d'oreilles.
La réserve de joyaux d'une personne de qualité est généralement mieux garnie, ainsi qu'il ressort des cadeaux que les prétendants font à Pénélope, au XVIIIème chant de l'Odyssée. On voit énumérés à côté d'un grand péplos brodé garni de douze ardillons en or montés sur boucles, un collier d'ambre monté sur or pareil à celui que les trafiquants phéniciens avaient présenté à Syros à la mère d'Eumée encore enfant, des pendants d'oreilles identiques à ceux d'Héré, un tour de cou fait de pièces ouvragées.
Si les bijoux sont discrets, le vêtement de la déesse est en revanche d'une qualité exceptionnelle. L'éanos est, en effet, une robe riche, ample et longue, abondamment drapée et plissée, réservée aux dames ou filles de condition élevée. Hélène, sur les murs d'Ilion, porte un éanos et aussi les trois filles du roi Céléos dans l'hymne à Déméter. L'éanos est un vêtement d'apparat, de fête ou de cérémonie.
Le vêtement quotidien est plus simple. Il comporte une tunique droite, le chilon, plus ou moins longue suivant l'âge et la condition, vêtement commun d'ailleurs aux hommes et aux femmes. Cette tunique est parfois doublée, parfois remplacée par une robe plus ample, le péplos, terme encore vague qui sert parfois à désigner une simple pièce d'étoffe souple brodée à tous usages, même à usage d'ameublement.
On jette sur les épaules une autre pièce d'étoffe également ample, mais plus fine ; c'est le pharos que l'on drape autour de la taille en la serrant avec une ceinture et qui sert de manteau.
La tête est enveloppée d'un voile. Aux pieds sont attachées des sandales, simples semelles de cuir maintenues par des courroies nouées autour de la cheville et plus ou moins artistement travaillées.
Dans la Grèce homérique la toilette est faite, semble-t-il au premier abord, plus pour voiler que pour souligner les lignes du corps féminin. L'élégance naît moins de la coupe que de la richesse, de la souplesse, de la légèreté des étoffes de laine ou de lin.
Mais il ne faut pas méconnaître les ressources de la coquetterie féminine. Hésiode met en garde son frère contre les femmes qui portent des vêtements qui dénoncent leur croupe de manière trop sculpturale, à son gré tout au moins.

La femme dans la famille

Le contemporain d'Homère ou d'Hésiode peut avoir une ou plusieurs concubines, femmes achetées ou captives de guerre. Il n'a qu'une épouse, la femme avec qui il a contracté mariage, lequel n'a rien d'un achat, contrairement à ce qu'il a pu être écrit, qui s'accompagne seulement d'un échange cérémonieux de présents. Hésiode le misogyne recommande d'avoir dans sa maison une femme achetée, plutôt qu'une épousée.
Celle-ci n'est nullement, comme il est encore répété, la propriété, la chose de son mari. Celui-ci est son maître certes il peut la punir, la répudier, si elle compromet gravement les intérêts de sa maison, la tuer même dans des cas d'adultère, mais il se garde bien faire pour éviter la vengeance obligatoire de sa belle-famille.
L'épouse néanmoins garde ses droits vagues mais incontestables. Elle reste surtout sous la protection de sa famille paternelle.
Un mariage, surtout entre grandes familles, a tous les caractères d'un véritable traité. Il confère à l'épouse légitime une place à part dans la maison ou le manoir de l'époux, une dignité éminente qu'Athénée définit excellemment en dépeignant à Ulysse la situation d'Arété aux côtés d'Alcinoos.
« Arété, dont Alcinoos a fait son épouse,
Est honorable par lui comme aucune autre sur la terre
Parmi les femmes qui ont un foyer sous la loi d'un mari.
»
Arété est l'idéal de la femme de grand seigneur ; elle a d'ailleurs un époux parfait. Pénélope, en dépit de sa tenue morale exceptionnelle, a moins d'autorité et d'indépendance ; elle se laisse parfois rabrouer par son fils Télémarque qui sait lui rappeler que, majeur, il remplace le maître ; elle écoute sans sourciller la confidence des aventures amoureuses d'Ulysse, que celui-ci lui fait d'ailleurs le soir même de leur rencontre, sans la moindre gêne. Au vrai, ces infidélités étaient certes fréquentes, même sous le toit familial.
Elles devraient même parfois faire partie de la politique familiale ; car il n'était pas sage d'avoir plusieurs fils légitimes si l'on voulait éviter la division du patrimoine ; il valait mieux avoir des bâtards qui n'avaient pas de vocation au partage des terres, mais qui pouvaient remplacer l'héritier légitimes, au cas où celui-ci viendrait à disparaître.
Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les épouses acceptassent de bon gré les incartades amoureuses du seigneur. Anticlée, par exemple, la mère d'Ulysse, paraît avoir été une forte femme, capable de tenir solidement en mains les rênes de l'autorité.
Les choses ne se passaient pas toujours aussi bien.
Les révoltes de l'épouse bafouée ne devaient pas être rares. Il y avait une autre catégorie de drames, ceux provoqués par un conflit entre la maîtresse de maison devenue veuve, mais restée jalouse de son autorité, et son fils désormais son maître et seigneur.
C'est l'histoire de Méléagre en guerre contre les Courètes. Sa mère Althée étant une Courète. Ses frères ayant été tués dans la guerre, Althée maudit Méléagre et demanda aussi, sa mort à Hadès et à Perséphone. Contre son fils, dans le manoir de qui elle continuait d'ailleurs à habiter, elle prenait ainsi partie pour sa famille d'origine.
Pour comprendre cette histoire légendaire, mais tout à fait significative, il ne faut d'abord pas oublier ce que nous venons de dire, que cette famille d'origine est la garantie du respect dû à l'épouse et la mère de la famille, et, le cas échéant, de son autorité. Il convient de se reporter d'autre part aux propos tenus par Ulysse à Pénélope au moment de son départ pour la guerre de Troie, et pour le cas où il ne reviendrait pas. Il lui confie le patrimoine et ses propres parents.
- Lorsque tu verras la barbe de ton fils, alors marie-toi comme il te conviendra, en quittant la maison.
L'épouse veuve, mère d'un enfant mineur, est assimilée, à certains égards, à la fille épiclèse chargée de transmettre le patrimoine familial au prochain héritier mâle. Les circonstances et la coutume l'on ainsi placée au premier plan. Il est parfois bien dur ensuite d'abdiquer.
La position éminente de l'épouse d'un chef de famille peut enfin se trouver paradoxalement renforcée, même à l'égard de son seigneur et maître, par l'existence d'un privilège de l'aîné et en raison même de la situation inégale parfois précaire, des cadets. Ceux-ci faute de pouvoir créer un foyer, continuent souvent à vivre dans la maison paternelle. Promiscuité trop propre aux intrigues et aux défaillances. Hésiode les dénonce avec horreur. C'est donc qu'elles n'étaient pas une rareté.
A Sparte, où l'indivisibilité absolue du patrimoine resta longtemps la règle, la coutume finit par s'établir dans nombre de cas que la femme de l'aîné fût en même temps celle de tous les frères. Cette polyandrie de fait la transformait automatiquement en maîtresse du patrimoine et en véritable chef de la famille, d'autant mieux que les hommes n'avaient pas le droit de posséder des métaux précieux. Ainsi le meilleur de la richesse de Sparte devait passer progressivement dans les mains féminines.

Mariage et fiançailles

C'est grâce à un ensemble assez complexe de cérémonies minutieusement réglées que s'acquiert cette qualité d' « épouse légitime » qui, au foyer, donne à sa titulaire une situation hors de pair.
D'après Hésiode, le mariage doit s'effectuer pour les hommes autour de la trentaine. La femme, pour se marier, doit être pubère depuis quatre ans. L'âge du mariage arrive donc pour elle vers la seizième année.
Lorsqu'un père a décidé de marier sa fille, il le fait savoir publiquement et invite les prétendants possibles à faire acte de candidature. Ceux-ci se présentent chez le futur beau-père qui les héberge, les reçoit comme ses hôtes et fait bombance avec eux.
Naturellement, les prétendants ne sont pas venus les mains vides ; ils ont apporté des victuailles pour le maître de maison et des cadeaux personnels pour la future fiancée : des vêtements, voiles, bijoux. L'ampleur de ces cadeaux et des festivités qui les accompagnent varie, bien entendu, avec la condition sociale des intéressés, Pénélope le rappelle très précisément à ses prétendants :
« Lorsque c'est une femme noble, une fille de roi
Que l'on veut courtiser avec d'autres rivaux
Tous lui témoignent leur amour avec des bœufs et de grasses brebis
Pour festoyer avec les siens, lui font de cadeaux magnifiques.
»
Ces réjouissances préliminaires chez le père de la jeune fille ne sont pas seulement un moyen de faire connaissance, ou des manifestations de courtoisie. Elles sont aussi l'occasion d'une véritable compétition entre les prétendants : on pérore, on chante, on danse, on se défie, on se mesure dans des jeux ou des épreuves de force et d'adresse.
Bien qu'elle se passe dans des conditions évidemment exceptionnelles, et en dépit de son caractère mythique, la réunion des prétendants à la main de Pénélope dans le manoir d'Ulysse ne s'écarte pas, on le voit, substantiellement de ce cérémonial.
Lorsque le père de la fiancée a choisi son futur gendre, celui-ci offre alors des présents à son futur beau-père. Ce sont les hedna. Le beau-père réplique en donnant une dot à sa fille au moment du mariage. Ce sont les « douceurs », les meilia, qu'il faudra restituer en cas de répudiation.
C'est cet échange de présents, rituel dans la plupart des civilisations primitives lors de toute convention, qui a pu faire croire que l'homme achetait son épouse.
La cérémonie proprement dite du mariage consistait essentiellement dans le transfert solennel de l'épousée de la demeure de son père dans celle de son mari. Ce transfert était précédé d'un banquet joyeux ; il était offert par le père de la marié.
Le soir venu, on procédait au transfert lequel avait lieu en char, au moins dans les familles riches, à la lumière des torches et avec le concours d'un cortège à la mesure de la condition des familles. Héphaïstos a groupé ces cortèges dans une des scènes figurées sur le bouclier d'Achille ; ce qui conduit à penser que les mariages devaient être célébrés simultanément certains jours du mois, considérés comme particulièrement favorables,
« Des épousées au sortir de leur chambre à la lueur des torches
Sont menées par la ville et partout s'élève un hyménée.
Des jeunes gens dansent en tournoyant. Au milieu d'eux
Les flûtes, les cithares retentissent ; et les femmes
Debout chacune sur leur porte font les honneurs.
»

Mystères féminins

Les femmes participent naturellement à la vie religieuse et aux cultes de la famille et de la cité. Dans nombre de sanctuaires et d'abord ceux des divinités féminines, elles occupent même des postes éminents, celui, par exemple, de la grande prêtresse d'Héra à Argos, ou celui de la prêtresse éponyme à Eleusis ; à Ilion, la prêtresse d'Athéna est la jolie Théano, la femme d'Anténor. Elles ont leur place jusque dans les cultes des dieux masculins ; ainsi la Pythie à Delphes, ou la femme du roi à Athènes dont on célébrait tous les ans l'union avec Dionysos lors de la fête des Anthestéries.
Des collèges de femmes participent enfin en maintes occasions au service de la divinité, comme celui des Mélissai à Ephèse dans le temple d'Artémis, ou à celui des Arrhéphores à Athènes qui, claustrées pendant quatre ans, travaillent deux à deux, vêtues de robes blanches, à la confection et à la broderie du péplos destiné à habiller l'antique effigie d'Athéna, ou encore celui des hiérodules d'Aphrodite à Corinthe dont l'industrie particulière contribue grandement à la richesse du sanctuaire.
En raison de leur sexe, elles figurent à des places particulières, elles remplissent certaines tâches ou certaines fonctions déterminées, mais leurs collaborations, au total, ne se distingue pas de celle que peuvent apporter les autres membres du groupe social intéressé au rite ou à la cérémonie.
Des études récentes sur la religion hellénistique sur ces formes et institutions primitives ont tenté de démontrer qu'il existait dans la Grèce archaïque des cérémonies spéciales aux femmes, auxquelles elles participaient seules. Celles-ci paraissaient être secrètes, c'est-à-dire conduite à l'écart de tout public masculin, même quand elles avaient lieu en plein air, et d'un exclusivisme si rigoureux que toute curiosité exposait son auteur à une chasse féroce qui pouvait se terminer par la mort et la lacération de l'indiscret.
Cette hypothèse est à notre avis très vraisemblable car dans la Grèce primitive, il a existé une société des femmes, où l'on progressait d'initiation en initiation. Celles-ci étaient liées, à l'origine, aux cultes des grandes divinités féminines : Héra, Artémis, Athéna, Déméter, héritières plus ou moins directes elles-mêmes de la Grande Déesse du monde égéen, déesse de l'arbre et de la végétation, dame des fauves et de la nature sauvage. Elles devaient être accaparées progressivement et assimilées par le culte de Dyonisos.
Elles s'accompagnaient de danses frénétiques et rythmées par la flûte, qui mettaient bientôt les danseuses en état de transe et d'extase, bouche ouverte, nuque fléchies, tous le corps tendu et rejeté en arrière, dans des attitudes qui évoquent celles des crises classiques d'hystérie. Elles comportaient en outre des courses éperdues en cortège, à la lueur de torches, à travers les zones boisées et montagneuses. Les initiées des catégories les plus anciennes portaient sans doute à cette occasion, au moins dans le culte de Dyonisos, la nébride, la peau de faon, de l'animal sacrifié pour elles au cours d'une initiation antérieur, sacrifice qui s'accompagnait généralement d'une lacération.
Il est vraisemblable enfin que certaines de ces initiations, notamment celle qui avait lieu à l'époque de la puberté, exigeaient un temps de retraite parfois prolongé, pendant lequel les futures initiées étaient soumises à des épreuves, s'isolaient et se cachaient par groupes dans la nature sauvage.
En d'autres cas, par exemple à l'occasion de l'initiation préparatoire au mariage, la retraite pouvait prendre la forme d'un temps de service consacré à une divinité. Ce qui n'excluait nullement bien entendu les danses rituelles.
Nous pouvons donc imaginer le déroulement de mystères féminins, dès l'époque homérique et dès avant la grande vogue du culte de Dyonisos. Celui-ci fera la fortune des vocables « ménade » et « thyade » qui désignent les participantes à ces « orgies » féminines.
Déjà cependant le terme de « ménade » se trouve dans l'Iliade où Andromaque pressentant la mort d'Hector, se précipite « pareille à une ménade ». On le retrouve un peu plus tard dans l'Hymne à Déméter dont la rédaction se place vers la fin du VIIème siècle : « Elle bondit, y lisons-nous au vers 386, telle une ménade qui dévale une montagne couverte de forêt. » L'allusion aux courses nocturnes par les monts boisés, épisodes caractéristiques des mystères féminins est, ici, on ne peut plus précise.
Ne nous laissons pas égarer par le silence d'Homère et d'Hésiode, silence peut-être révérenciels et très explicable en vérité, puisqu'il s'agit de cérémonies secrètes, d'où les hommes étaient rigoureusement exclus, et qu'il était sage d'ignorer pour ne pas attirer sur soi la vengeance des confréries féminines et aussi, ce qui est tout un, les représailles redoutables de la divinité offensée.
Admettons que les femmes de la société homérique, jeunes filles et femmes faites, de loin en loin, tous les deux ou quatre ans probablement suivant le rythme adopté pour les grandes fêtes périodiques de l'hellénisme, à des dates rituelles, se libéraient brutalement et simultanément des contraintes de la vie familiale et sociale pour s'abandonner aux frénésies d'une véritable folie religieuse collective, ou, si l'on préfère, aux emprises de la possession divine.
Si nous l'oubliions, nous omettrions probablement un côté essentiel de leur vie psychologique profonde.


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