Voici la suite des contes et légendes dans l'Egypte ancienne :
Isis et Osiris : III. - Le deuil d'Isis et la résurection d'Osiris
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Isis et Osiris : III. - Le deuil d'Isis et la résurection d'Osiris
Et alors Isis se réfugia à Bouto, la ville où elle était née, au milieu des marais et des roseaux qui la protégèrent contre les entreprises de Typhon. Et après elle, plus d'une fois, ces mêmes marais et ces mêmes roseaux ont protégé aussi le Pharaon contre les attaques de ses ennemis. C'est là qu'elle mit au monde son fils, le jeune Horus ; c'est là, au milieu des roseaux, qu'elle l'allaita et qu'il grandit ; c'est là qu'elle l'éleva en secret, loin des embûches du Malin. Cependant celui-ci, Seth-Typhon, chassant au clair de lune, aperçut le coffre dans le lieu détourné où Isis l'avait retiré. Il l'ouvrit et reconnut le cadavre d'Osiris. Tout de suite, il déchira les restes de son frère, il découpa le corps en quatorze morceaux qu'il dispersa au hasard de côté et d'autre, afin de supprimer complètement les traces de son crime.
La malheureuse Isis apprit bientôt le forfait et elle reprit son douloureux pèlerinage en quête des lambeaux de la chair d'Osiris . Un à un, elle réussit à les retrouver, à l'exeption d'un seul tombé dans le fleuve et que l'oxyrrhynque avait aussitôt dévoré gloutonnement, comme il dévore tout ce qu'il peut attraper des rebuts jetés au Nil. A mesure que la déesse retrouvait les lambeaux lamentables, elle élevait à chacun d'eux une sépulture, au lieu même où elle les avait ramassé, et elle laissa croire aux prêtres de quatorze sanctuaires que chacun d'eux possédait le corps entier d'Osiris, et ces sanctuaires sont les étapes du douloureux voyage qu'on appelle "la quête d'Isis". Quand elle eut rassemblé tous ces pauvres débris, la déesse Isis appela à son aide Nephthys, sa soeur, et Horus, son fils chéri, et Thot l'ibis et Anubis le chacal. Et ensemble, eux, les héritiers de la science d'Osiris, les confidents de ses pensées, ils trouvèrent dans ses enseignements mêmes du dieu le secret de le rappeler à une vie nouvelle. Mieux encore, Isis inventa le " remède qui donne l'immortalité". Avec Nephthys et Horus et Thot et Anubis, elle disposa les restes d'Osiris et les embauma et les transforma en une momie impérissable, capable de supporter éternellement l'âme de ce dieu, et ce fut la première des momies.
Car Anubis le chacal avait depuis longtemps déjà la science mystérieuse qui assure la persistance infinie de la chair. Pourtant il ne réussissait à obtenir qu'un corps desséché, immobile et glacé, que le Double ne pouvait ni soulever ni faire remuer et qui le condamnait à mener une existence ténébreuse. Thot et Isis et Horus voulurent qu'Osiris fût plus favorisé. Ils ajoutèrent cette fois à la préparation de la momie des rites magiques qui devaient procurer à la chair desséchée une nouvelle existence. Et voici comment ils s'y prirent. Isis avait, au moment de ses trouvailles, revivifié l'un après l'autre chacun des membres du dieu mutilé. Elle enveloppa ces membres dans une figure faite de cire et d'aromates, et de terre mélangée de blé, et d'encens, et de pierres précieuses, de la grandeur d'Osiris et faite à sa ressemblance. Ensuite, elle fit sur cette figure des opérations magiques. Et Isis et Nephthys lui dirent : "Tu as repris ta tête, tu as resserré tes chairs, on t'a rendu tes veines, tu as rassemblé tes membres". Et Sibou, le père d'Osiris, présidait la cérémonie, et Râ, du ciel, envoyait les déesses Vautour et Urus, celles qui ceignent comme d'une couronne le front des dieux, mettre en place la tête d'Osiris et consolider sa nuque.
Et la satue fut revêtue d'un linceul de lin bien ajusté. Alors Isis et Nephthys, en robes de deuil, les cheveux dénoués, se meurtrissant la poitrine de coups, se mirent à chanter lamentablement, suppliant Osiris de revenir habiter sa forme reconstituée. Isis chanta en embrassant les pieds de la momie : "Viens vers ta maison, tes ennemeis ne sont pas ici. Viens vers ta maison! Regarde-moi, c'est moi, ta soeur que tu aimes, ne t'écarte pas de moi. Viens vers ta maison tout de suite! Quand je ne te vois plus, mon coeur se plaint de toi, mes yeux te cherchent, je cours de tous côtés pour te voir. Viens vers celle qui t'aime, Ounnefer, viens vers ta soeur, viens vers ta femme ; ô toi dont le coeur ne bat plus, viens vers ta maison, ne t'éloigne pas de moi ; les dieux et les hommes te pleurent tous ensemble ; et moi, je t'appelle, en pleurant aussi haut que le ciel. . . Tu n'écoutes pas ma voix ?C'est moi que tu aimas sur terre, et tu n'aimes nulle plus que moi". Et Nephthys, penchée sur la tête de la momie, dit à son tour : "O beau prince, viens vers ta maison pour réjouir mon coeur. Aucun de tes ennemis n'est ici ; ce sont tes deux soeurs qui sont à tes côtés pour garder ton lit funéraire et pour t'appeler en pleurant ; retourne-toi sur le lit pour les voir. . . Tes ennemis sont abattus. Me voici avec toi pour protéger tes membres. Viens vers nous, notre prince, notre seigneur. Ne t'éloigne plus de nous".
Ils enveloppèrent encore la momie d'un autre linceul de lin qu'ils fixèrent avec des bandelettes ; puis ils tracèrent sur les bandelettes des figures sacrées et des formules magiques , ils déposèrent sur les membres des amulettes recélant des charmes puissants ; ils tracèrent ensuite sur les planches du cercueil et sur les murs de la chambre mortuaire les scènes de l'existence terrestre et de la vie d'outre-tombe en chantant des incantations pour rendre à Osiris l'usage de ses yeux pour voir, de ses oreilles pour entendre, de sa bouche pour manger et parler, de ses mains pour agir, de ses jambes pour marcher et ces formules sont écrites dans "le Livre de l'ouverture de la bouche". Et ils firent encore autre chose. Ils dressèrent à côté du cercueil qui contenait la momie une satue faite à la ressemblance du vivant. Et ils la remirent aux mains des habilleurs qui lui firent subir une toilette minutieuse, ablutions, fumigations, encensements, onctions du fard, puis ils revêtirent la statue de bandelettes vertes, rouges, jaunes et blanches, d'armes et de couronnes. Ensuite, ils firent fabriquer soit en cornaline, soit en pierreries, soit en or, la croix ansée, signe de vie, les liens de cou, de poignets, de chevilles, toutes les amulettes destinées à éloigner Seth l'adversaire et l'ennemis et à le frapper d'impuissance.
Et à la statue aussi ils chantèrent les chants magiques pour ouvrir sa bouche, ses yeux et ses oreilles, pour délier ses bras et ses jambes, pour donner le souffle à son gosier et pour susciter les battements de son coeur. Et les formules qu'ils prononcèrent étaient si puissantes que le double, cette statue à l'image d'Osiris, vit et entendit, parla et mangea, assis devant une table chargée de toutes les choses bonnes et pures que donne le ciel, que crée la terre, que le Nil amène de sa cachette. Et les pains, les viandes, les fruits, les boissons écartent à jamais de lui toute menace de soif ou de faim. Et, ressuscité, Osiris aurait pu reprendre sa place parmi les hommes et quelquefois il lui est arrivé de se montrer à ses fidèles serviteurs. Mais il ne voulut pas séjourner dans les villes comme l'avaient fait ses ancêtres. Ils préféra la Prairie du repos au milieu des marais dans les îlots sablonneux à l'abri des inondations du Nil. Ce fut le premier royaume d'Osiris où il mena une existence toute semblable à sa vie première, mais sans vieillir jamais. Plus tard, il s'en alla, franchir les mers, s'arrêta peut-être sur la côte phénicienne du côté de Byblos et s'éleva enfin au Ciel dans la Voie lactée entre le nord et l'est, plutôt du côté du nord.
Là est son royaume éternel. Le soleil et la lune l'éclairent en même temps. Quand il fait chaud au milieu du jour, le vent du nord souffle pour rafraîchir l'atmosphère, les moissons y sont abondantes et magnifiques. Des remparts épais protègent ce séjour des entreprises de Seth et des esprits malfaisants. Un palais semblable à celui de Pharaon, mais mille fois plus beau, s'y élève au milieu de jardins délicieux. Osiris entouré des siens y mène une vie tranquille où abondent tous les plaisirs de la vie terrestre sans aucune de ses douleurs. Cependant Osiris, Ounnefer-le-bon, le type de la bonté parfaite, a voulu ouvrir les portes de son paradis aux âmes de ses anciens sujets fidèles, ceux qui sont les suivants d'Horus, afin que ceux qui ont été bons sur la terre, qui ont compris les enseignements sacrés et qui ont suivi la voie droite, mènent dans l'autre monde une heureuse existence et jouissent du bonheur éternel auprès du dieu qu'ils ont adoré et honoré pendant leur vie humaine.
L'aventure de Sinouhît :
Sinouhît, l'ami de Pharaon, l'administrateur des domaines du souverain et son lieutenant chez les Bédoins, Sinouhît, l'homme du roi, raconte ainsi son histoire : "Je suis dit-il, le serviteur dévoué qui suit son maître. Amenemhaît, mon souverain, celui qui est enterré dans la pyramide de Quanofir, m'a confié sa fille, la princesse héritière, et je veille sur elle dans le harem royal. Ma noble maîtresse s'appelle Nofrît; elle est l'épouse préfèrée du roi Sanou. En l'an 30, le troisième mois d'Iakhouît, à l'époque où le dieu Râ entre en son double horizon, le roi Amenemhaît, le père de ma princesse, mourut sur cette terre et son âme s'élança au ciel, s'unissant au dique solaire et s'absorbant en son créateur. Or, le palais était silencieux en signe de deuil, la double grande porte avait été scellée, les courtisants restaient accroupis, la tête appuyée sur leurs genoux, le peuple se lamentait tout haut.
Sa majesté, le roi défunt, avait envoyé de son vivant une armée nombreuse faire la guerre au pays des Timihou, ces tribus berbères qui occupent le desert de Libye. Son fils aîné, le prince Sanou, commandait cette armée; il avait été chargé de frapper les pays étrangers et de réduire les Berbères à l'esclavage. Vainqueur, il avait déjà pris le chemin du retour, amenant avec lui des prisonniers vivants dont il s'était emparé chez les Berbères et des troupeaux si nombreux qu'il n'en savait pas le chiffre. Dès la mort du Roi, les amis du Sérail, qui sont les amis du souverain choisis parmi les courtisans et les fonctionnaires, envoyèrent des gens du côté de l'ouest pour informer le fils du Roi des évenements survenus au Palais. Les messagers le rejoignirent à la nuit : le prince fit diligence. Comme un faucon royal, il s'envola avec ses serviteurs pour rejoindre le Palais où l'on pleurait son père. Mais l'ordre fut donné aux princes de sang royal de garder le silence, de cacher à l'armée la mort du roi.
Or moi, j'étais là. j'entendis la voix du messager annonçant une si grave nouvelle. Il y allait de ma vie : la moindre indiscrétion me serait attribuée si quelqu'un apprenait quelque chose et je serais condamné pour avoir découvert ce qui doit rester secret et ce que je devais ignorer. Je m'éloignai bien vite, mon coeur se fendit, mes bras retombèrent, la peur s'abattit sur tous mes membres, je me désolai, faisant des tours et des détours pour chercher une place où me cacher; je me coulai entre deux buissons pour m'écarter de la route battue qui suivait le cortège royal. je m'acheminai vers le sud, mais je ne voulais pas revenir au Palais royal car j'imaginais que la guerre y avait déjà éclaté, il est rare, en effet, qu'un héritier désigné par le Pharaon occupe le trône sans avoir à guerroyer contre ses frères moins favorisés et jaloux qui veulent lui arracher son héritage. Chassé par la peur, je traversai le cnal des deux Vérités au lieu qu'on appelle le Sycomore. J'arrivai à l'île Sanafrouî et j'y passai la journée, blotti dans un champ. A l'aube me voilà reparti et en voyage. Je marchai toute la journée et la nuit encore, et le lendemain de bonne heure j'atteignis Pouteni et je me reposai dans une île.
Alors la soif s'abattit sur moi. Je râlais. Mon gosier se contractait: je défaillis, et je me disais déjà : "C'est le goût de la mort!"Quand mon coeur reprit courage, je rassemblai mes membres pour me relever; j'entendais mugir un troupeau. C'étaient des Bédouins, ils m'aperçurent et un de leurs cheiks qui avait séjourné dans mon pays d'Egypte, me reconnut. il me donna de l'eau et me fit cuire du lait; puis j'allai avec lui dans sa tribu et ils me rendirent le service de me faire passer de pays en pays. Je gagnai ainsi une crontrée de la Syrie, et j'y restai un an et demi. Or, le prince du pays de Syrie, Ammoui, me fit venir auprès de lui et me dit; "Tu te trouves bien chez moi car tu y entends le parler de l'Egypte". Il disait cela parce qu'il savait qui j'étais. Des Egyptiens, réfugiés dans le pays, lui avaient parlé de moi. Il se mit à m'interroger: "Pour quelle raison es-tu venu ici?Qui t'a poussé à quitter ton pays?Qu'est-il arrivé dans le palais d'Amenemhaît, le souverain des Deux-Egyptes? Révèle-nous ce que nous ignorons". Comprenant qu'il supposait que j'avais été mêlé à quelque complot contre le roi, je lui répondis avec astuce : "Oui, certes, il est arrivé quelque chose. Quand je revenais de l'expédition au pays des Berbères, j'ai entendu quelque chose qui ne me regardait pas. Mon coeur se déroba, la peur m'a fait fuir dans le désert. Je n'avais pas été blâmé pourtant, personne ne m'avait craché à la figure, on ne m'avait pas donné de vilains noms. Je ne sais pas ce qui m'amena en ce pays, plutôt qu'en un autre, ce doit être la volonté sacrée d'Amon-Râ".
Mais Ammoui poursuivit: "Qu'arrivera-t'il à l'Egypte maintenant qu'elle est privée de son protecteur?Amenemhaît était redouté des nations étrangères à l'égal de la déesse Sokhît qui peut envoyer la peste sur la terre, comme il lui plaît". Je lui laissai voir ma pensée et je lui dis : "Amon-Râ a eu pitié de nous! Le fils d'Amenemhaît est entré au palais et il est en possession de l'héritage. Certes c'est un maître de sagesse, prudent en ses desseins, bienfaisant en ses décisions, qui sait donner des ordres. Déjà du vivant de son père il domptait les nations étrangères tandis que son frère restait à l'intérieur de son palais. C'est un vaillant qu'il faut voir entrer dans la mêlée et s'élancer sur les barbares. Il court si vite que le fuyard qui lui a montré son dos ne trouve plus d'asile. Il ne se lasse jamais ; s'il voit de la résistance, il saisit son bouclier, il culbute l'adversaire, il tue du premier coup ; personne n'a jamais pu détourner sa lance, personne ne peut tendre son arc. La cité l'aime et l'appelle le bien-aimé, le très charmant homme et les femmes s'en vont chantant sa louange. Il est roi, c'est Amon-Râ qui nous l'a donné et cette terre se réjouit d'être sienne et de vivre sous son gouvernement. Il veut faire la conquête des pays du midi et il ne craint pas ceux du nord". Souhaite que ton nom lui soit connu comme celui d'un homme de bien car s'il prend fantaisie d'envoyer une expédition ici il saura te traiter comme tu le mérites : il ne cesse jamais de faire le bien et de rendre justice à la contrée qui lui est soumise".
Le chef du pays de Syrie me répondit : "Certes l'Egypte est heureuse puisqu'elle connaît la valeur de son prince. Quant à toi, puisque tu es ici, reste avec moi et je te ferai du bien". Il me traita mieux que ses propres enfants, il me maria avec sa fille aînée et il voulut que je choisisse pour moi un domaine parmi les meilleurs de ses possessions sur la frontière. C'est une terre excellente, qui s'appelle Aîa. Il y mûrit des figues et des raisins ; le vin y est plus abondant que l'eau, il y a plein de miel et d'huile d'olive et des arbres qui donnent toutes sortes de fruits. L'orge et le froment y poussent en abondance. On y a la farine sans limite et il y a aussi toute espèce de bestiaux. Et je reçus de grands privilèges quand le prince vint m'installer comme le seigneur d'une tribu. J'eus chaque jour une ration de pain et de vin, de la viande bouillie et des volailles rôties et encore du gibier qu'on chassait pour me l'offrir, bien que j'eusse moi-même une meute de chiens de chasse. On faisait pour moi beaucoup de gâteaux et du lait cuit de toutes les manières. Je passai là de nombreuses années, mes fils devinrent des hommes vaillants, chacun maître de sa tribu. Moi, j'accueillais avec bonté ceux qui passaient sur ma terre et, me souvenant d'avoir été fugitif, je donnais de l'eau à celui qui avait soif, je remettais le voyageur égaré sur la bonne route, j'acceuillais et je réconfortais celui qui a été pillé par les voleurs, et mon hospitalité était si connue que les messagers volontiers s'arrêtaient chez moi.
Pendant de longues années je fus chargé de commander les soldats pour défendre le prince de Syrie contre les Bédouins qui s'enhardissaient jusqu'à nous attaquer. Et lorsque je marchais précipitamment contre un pays avec mes soldats, on tremblait au fond des puits dans les pâturages. Je prenais les bestiaux, j'emmenais les vassaux et j'enlevais leurs esclaves, je tuais les hommes d'armes. Par mon glaive, par mon arc, par mes marches, par mes plans bien conçus, je gagnai le coeur de mon prince et il m'aima quand il connut ma vaillance ; il mit ses enfants sous mes ordres quand il vit la vigueur de mon bras. Une fois, arriva un Syrien, fort entre les forts. Il vint me défier dans ma tente. C'était un héros que personne n'accompagnait, car il avait vaincu tous les hommes forts du pays. Il disait qu'il lutterait avec moi ; il se promettait de me dépouiller ; il annonçait bien haut qu'il prendrait mes troupeaux pour les emmener dans son domaine et les distribuer à ceux de sa tribu. Le prince délibéra avec moi et je dis : "Je ne connais point cet homme. Je ne suis jamais allé sous sa tente puisque je ne suis pas son allié ; est-ce que j'ai jamais ouvert sa porte ou enfoncé ses clôtures?Il me poursuit par pure jalousie parce qu'il voit que je suis à ton service. Qu'Amon-Râ nous sauve. Je suis comme vieux taureau au milieu de son troupeau de vaches, lorsque fond sur lui un jeune taureau qui veut les lui prendre. J'étais un mendiant, je suis passé chef. J'étais un nomade qui a pris place parmi les paysans : il est naturel que je leur déplaise. Alors s'il a le coeur à combattre, qu'il dise son intention et qu'Amon-Râ décide entre nous".
Je passai la nuit à bander mon arc, à dégager mes flèches, à donner du jeu à mon poignard, à fourbir mes armes. A l'aube tout le pays accourut. Le prince de Syrie, qui avait prévu le combat, avait réuni ses tribus et convoqué tous les voisins. Quand l'homme fort arriva, je me dressai en face de lui : tous les coeurs brûlaient pour moi, hommes et femmes, anxieux à mon sujet, poussaient des cris; on disait : "Y a t'il véritablement un autre champion assez fort pour lutter contre cet homme si fort?"Et voici qu'il prit son bouclier, sa lance, sa brassée de javelines. Je réussis à écarter de moi ses traits qui tombèrent à terre, je l'obligeai à épuiser ses armes sans résultat, alors il fondit sur moi. A ce moment, je déchargeai mon arc contre lui, mon trait s'enfonça dans son cou, il cria et il s'abattit sur le nez. Je l'achevai avec sa propre hache et, le pied sur son dos, je poussai mon cri de victoire. Tous les Asiatiques crièrent de joie ; je rendis des actions de grâces à Moutou, le dieu de la guerre que nous adorons à Thèbes tandis que ses gens se lamentaient sur lui. le prince de Syrie me serra dans ses bras. J'emportai tous les biens du vaincu, je pris ses bestiaux et voilà que ce qu'il avait voulu me faire, c'était moi qui le lui faisais. Je pris tout ce qui était dans sa tente. Je pillai son douar (village en Afrique du Nord) et je m' enrichis, mon trésor s'arrondit et mon troupeau s'accrut.
Ainsi donc, le dieu s'est montré gracieux pour celui à qui on reprochait d'avoir fui en terre étrangère, si bien qu'aujourd' hui mon coeur est joyeux. J'ai été un fugitif, un traînard mourant de faim, un pauvre hère sorti tout nu de son pays et maintenant j'ai une bonne réputation à la cour de Syrie, je donne du pain au pauvre, je suis éclatant dans mes habits de fin lin, je possède beaucoup de serfs. Ma maison est belle, mon domaine est vaste. Pourtant, mon coeur n'est point satisfait. Maintenant que la vieillesse vient, que la faiblesse m'a envahi, que mes deux yeux sont lourds, que mes jambes refusent le service et que le trépas s'approche de moi, je voudrais revoir l'Egypte. O Dieux qui m'avez poussé à fuir, accordez-moi de revoir le pays où je suis né et où je voudrais mourir. J'envoyai au Pharaon un message pour que sa bonté me soit favorable, et Sa Majesté daigna m'envoyer des présents aussi beaux que ceux qu'on donne aux princes des pays étrangers et m'écrire la lettre que voici :
[ L'Horus, le maître des diadèmes du Nord, et du Sud, le roi de la Haute et de la Basse-Egypte, Sanou, fils du Soleil, vivant à toujours et à jamais. Ordre du roi pour le serviteur Sinouhît. Voici, cet ordre du roi t'est apporté pour t'instruire de sa volonté. Tu as parcouru les pays étrangers, sortant de Kadimâ vers la Syrie et tu es passé d'un pays à l'autre, sur le conseil de ton propre coeur. Il s'ensuit que tu ne peux plus parler dans le conseil des notables, que tes paroles, ni tes malédictions ne comptent plus. Et ceci n'est pas dû à une mauvaise volonté de ma part contre toi. Car cette reine, ta maîtresse qui est dans le Palais, elle est florissante encore aujourd'hui, sa tête est exaltée parmi les royautés de la terre et ses enfants vivent dans la partie réservée du palais. Tu jouiras des richesses qu'ils te donneront et tu vivras de leurs largesses. Quand tu seras revenu en Egypte et que tu verras la résidence où tu vivais, prosterne-toi face contre terre devant la Sublime Porte et joins-toi aux Amis royaux comme autrefois. Car aujourd'hui voici que tu vieillis et que tu songes au jour de l'ensevelissement, au passage à la Béatitude éternelle. Bientôt tu passeras tes nuits parmi les huiles destinées à embaumer ton corps et au milieu des bandelettes sacrées. on fera ton convoi le jour de l'enterrement, on t'emportera dans une gaine doré, ta tête peinte en bleu, un baldaquin au-dessus de toi ; des boeufs tireront ton corbillard, des chanteurs te précéderont et des baladins danseront pour toi les formules des offrandes, on tuera pour toi des victimes auprès de ta stèle funéraire et ta pyramide sera bâtie en pierre blanche dans le cercle des princes royaux. Il ne faut pas que tu meures sur la terre étrangère, ni que des Asiatiques te conduisent au tombeau enseveli dans une peau de mouton. Quand tu seras revenu ici, tu oublieras les malheurs que tu as subis. ]
Quand cet ordre m'arriva, je me tenais au milieu de ma tribu. Dès qu'il me fut lu, je me prosternai à terre comme devant le Pharaon, à plat ventre, je me traînai dans la poussière et je flairai la terre ; je répandis cette poussière sur mes cheveux, je fis le tour de mon campement, tout réjoui et disant : "Comment se fait-il que pareille indulgence me soit accordée, à moi que mon coeur a conduit aux pays étrangers et barbares? Certes, combien c'est chose belle cette compassion qui me délivre de la mort. Car le Seigneur va permettre que j'achève mon existence à la cour". Et voici la lettre que j'écrivis pour répondre à cet ordre :
[ Le seviteur du harem, Sinouhît, dit : Que la paix soit par-dessus toute chose. Cette fuite de ton serviteur dans son inconscience, Très haut, tu la connais. Maître des Deux-Egyptes, ami de Râ, favori de Montou le seigneur de Thèbes, puissent Amon, le seigneur de Karnak, Râ, Horus, Hâthor, Toumou et les neuf dieux qui l'accompagnent, puisse la royale Ureus qui ceint ta tête, puisse Nouît, puissent tous les dieux de l'Egypte et des îles de la Très-Verte, donner la vie et la force à tes narines. Qu'ils te prodiguent leurs largesses, qu'ils te donnent le temps sans limites, l'éternité sans mesures ; que tu inspires la crainte dans tous les pays de plaine et de montagne, que tu domptes et possèdes tout ce que le disque du soleil éclaire dans sa course. C'est la prière que le serviteur fait pour son maître qui le délivre du tombeau. Cette fuite de ton serviteur n'était pas dans mes intentions, je ne l'avais pas préméditée, je ne sais ce qui m'arracha du lieu où j'étais. Ce fut comme un rêve, je n'avais rien à redouter, nul ne me poursuivait, nul ne m'injuriait, et pourtant mes membres tressaillirent, mes jambes s'élancèrent, mon coeur me guida, le dieu qui voulait ma fuite me tira. Puisque tu ordonnes, moi, ton serviteur, j'abandonnerai les fonctions que j'ai eues en ce pays-ci. Que ta Majesté fasse comme il lui plaît, car c'est toi qui donnes la vie et c'est la volonté des dieux que tu vives éternellement. ]
Quand on vint me chercher, moi, le serviteur, je célébrai une fête dans mon domaine pour remettre en cérémonie mes biens à mes enfants. Mon fils aîné devint le chef de la tribu, il devint le maître de tous mes biens, mes serfs, tous mes bateaux, toutes mes plantations, tous mes dattiers. Et alors je m'acheminai vers le sud et quand j'arrivai non loin du delta au poste frontière, le général égyptien qui commande la garde de la frontière envoya un message au palais pour m'annoncer. Sa Majesté dépêcha un directeur de la maison du roi et des navires chargés de cadeaux envoyés par le Roi aux Bédouins qui m'avaient escorté jusque-là. Je leur dis alors adieu, appelant chacun par son nom. puis je montai dans un bateau qui démarra et mit toutes ses voiles. Et chaque jour à bord on prépara pour moi de la bière fraîche jusqu'à mon arrivée devant la ville royale de Taîtou, la très ancienne ville royale. Quand la terre s'éclaira, le matin suivant, on vint m'appeler. Dix hommes vinrent me chercher et m'escorter jusqu'au palais. les enfants royaux qui attendaient dans le corps de garde vinrent à ma rencontre. Les Amis du Roi me conduisirent au logis du Pharaon et jusqu'à la grande salle à colonnes. Je trouvai Sa Majesté sur la grande estrade sous la porte dorée et je me jetai à terre sur le ventre et je perdis connaissance devant lui.
Sa Majesté divine daigna m'adresser des paroles aimables, mais je fus soudain enveloppé de ténèbres, mon âme défaillit, mes membres se dérobèrent, mon coeur ne fut plus dans ma poitrine et je connus la différence qu'il y a entre la vie et la mort. Sa Majesté dit à l'un de ses Amis : "Relève-le, et qu'il me parle !". Sa Majesté poursuivit : "Te voilà donc qui reviens, après que tu as couru les pays étrangers, après que tu as pris fuite. Te voilà vieux, tu as de la chance de pouvoir désormais être enseveli ; ce n'est pas une petite affaire que d'échapper à un enterrement chez les barbares. Tâche de répondre quand on t'interpelle". J'eus peur, peur d'un châtiment et je répondis effaré : "Que m'a dit mon maître? Je ne suis pas fautif, ce fut la main d'Amon-Râ. La peur qui me tient en ce moment est pareille à celle qui m'a poussé à cette fuite fatale. Me voici devant toi : tu es la vie, que ta Majesté agisse à son plaisir". On fit défiler les enfants royaux et Sa Majesté dit à la Reine : "Voilà Sinouhît qui revient, avec des manières de rustre, semblable à un Asiatique, il est devenu tout pareil à un Bédouin !" Elle poussa un très grand éclat de rire et les enfants royaux s'esclaffèrent tous à la fois. Toutefois, ils eurent pitié de moi et dirent à Sa Majesté : "Non, en vérité, Souverain, mon maître, il n'est pas pareil à un Bédouin!"
Sa Majesté dit : "En vérité, il l'est, il a l'air d'un Bédouin, tout à fait". Alors, les enfants royaux saisirent leurs instruments de musique et, défilant devant le roi, chantèrent un hymne à sa louange, disant : "Tes deux mains soient pour le bien, ô Roi, toi sur qui reposent le diadème du Sud et le diadème du Nord, et l'ureus est à ton front. Tu as écarté tes sujets du mal; car Tâ t'est favorable, ô maître des Deux Pays". Et ils ajoutèrent des paroles en ma faveur : "Accorde-nous cette faveur insigne que nous te demandons, pour ce cheik Sinouhît, le Bédouin qui est né sur la terre des canaux, dans le delta. S'il a fui, c'est par la crainte que tu lui as inspirée ; car celui qui voit ta face devient blême et l'oeil qui te contemple a peur". La colère de Sa Majesté fut apaisée par ce chat. Et Sa Majesté daigna dire aux enfants royaux : "Qu'il ne craigne plus! Allez avec lui au Logis Royal et désignez-lui la place qu'il occupera. Qu'on le mette parmi les gens du Cercle royal. Qu'il soit, comme par le passé, un Sage parmi les sages qui m'entourent". Lorsque je sortis du Logis Royal, les enfants royaux me donnèrent la main et nous nous rendîmes à la double grande porte pour que j'y reçoive ma donation. On m'assigna la maison d'un Fils Royal, avec ses richesses, avec sa salle de bain, ses décorations célestes, son ameublement venu du palais, les étoffes de la garde-robe royale et des parfums de choix.
Trois ou quatre fois par jour on m'apportait du Pailais des friandises, de la viande, de la bière et du pain. Me sentant tout rajeuni, je me rasai, je peignai mes cheveux que j'avais laissé pousser selon la coutume des Egyptiens quand ils sont à l'étranger ; je me débarrassai de la crasse étrangère et des vêtements étrangers ; puis je m'habillai de fin lin, je me parfumai d'essences de choix, je me couchai dans un lit. Il n'y avait plus qu'à oublier les pays des sables et d'huile d'olive. Et ensuite il fallut penser à ma future demeure, le tombeau où je devais habiter pour l'éternité. on fit pour moi une pyramide en pierre au milieu des pyramides funéraires. le chef des carriers de Sa Majesté choisit le terrain, le chef des peintre dessina la décoration, le chef des sculpteurs la sculpta, le chef des travaux de la nécropole parcourut toute la terre d'Egypte pour fournir le sarcophage, les tables d'offrandes, les coffrets, les statues du double en pierre et en métal, et toute sorte de mobilier. Enfin on désigna les prêtres du Double, ceux qui devaient tenir le tombeau en ordre et faire toutes les cérémonies nécessaires.
Pour moi, j'ajoutai encore au mobilier et fis mes arrangements dans l'intérieur de la pyramide, et puis je donnai des terres aux environs de la ville pour constituer un domaine funéraire dont les revenus seraient consacrés à l'entretien de mon tombeau et à la nourriture de mon double pour qu'il vive heureux dans l'éternité. Tout fut achevé magnifiquement. Sa Majesté elle-même se chargea de faire faire ma statue. Elle fut lamée d'or et on la revêtit d'une jupe de vermail, comme il convient à un ami de Pharaon. Je fus dans la faveur du Roi jusqu'au jour de mon trépas.
Cette histoire je l'ai contée comme elle fut écrite dans le livre de Sinouhît et déposée dans son tombeau.
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URL d'origine : http://ibelgique.ifrance.com/mythesgrec/egypte2.htm