Pour tout l'or des Gaulois
Par Catherine Chauveau
tiré de Science & Vie N°953, février 1997, p 80 à 87
L'or des Gaulois fait galoper les imaginations depuis l'Antiquité.
Récits mythiques ? Les plus récentes recherches prouvent au contraire que nos "ancètres" étaient des prospecteurs et des mineurs exceptionnels.
Parures de légendes
Vercingétorix paré, selon l'imagination d'un peintre du XIXe siècle, d'armes et de bijoux rutilants... en fait anachroniques, excepté le torque (collier) d'or.
De lourds chariots chargés d'or précèdent Vercingétorix enchaîné, au triomphe de César à Rome, en 46 av. J.-C. Les Romains ont vaincu la Gaule chevelue... et gagné la Gaule aurifère, un territoire gorgé d'or. De l'or que les Gaulois traquent depuis plusieurs siècles dans les rivières, sur les flancs des montagnes et dans les entrailles de la terre. De l'or dont ils font de somptueux bijoux, pour eux et pour leurs dieux.
L'or des Celtes hante les esprits depuis l'Antiquité. Les auteurs grecs et romains mentionnent avec une stupeur mêlée d'envie la richesse en or de la Gaule, les trésors accumulés dans les sanctuaires (César est même accusé d'avoir détruit les villes gauloises dans le seul but de s'en emparer), le chef arverne Luérius jetant de son char des pièces d'or et d'argent à ses compatriotes, les Gaulois allant au combat vêtus de leurs seuls bracelets et de leur fameux torque (collier) en or...
De la tête aux pieds
Outre leurs somptueux bijoux en or, les chefs celtes portaient des vêtements scintillants de paillettes d'or et de plaques d'or ouvragées. Or et corail ornent le somptueux casque d'Agris (Charente). Très abondant en Gaule, l'or servit aussi à frapper quantité de monnaies.
Les torques et autres bijoux disparus ont resurgi les premiers, dans les temps modernes, sous les coups de pioche des amateurs d'antiquités. Au XVIIIe siècle les paysans d'Allemagne du Sud, après la pluie, trouvaient des rondelles d'or dans leurs champs. Ils pensaient qu'elles naissaient de la rencontre de l'arc-en-ciel et de la terre. L'interprétation actuelle, plus prodsaïque, est qu'il s'agissait de monnaies frappées au IIIe siècle av. J.-C.
L'or celtique est passé du mythe à la réalité. Mais on supposait que les Gaulois l'avaient récolté au prix de peu d'efforts, par orpaillage ou par exploitation superficielle, activités laissant peu de traces. Pline l'Ancien décrit pourtant minutieusement dans son "Histoire Naturelle", une technique "qui surpasse les travaux des Géants" : torrents détournés, montagnes éboulées... Même compte tenu de l'éxagération ou des imprécisions des auteurs antiques, de tels travaux devaient fortement marquer le paysage !
La révélation de ces dernières années est la précocité et la grande maîtrise technique de l'exploitation de l'or par les Gaulois. Des vestiges de mines ont été nettement repérés dans le Nord-Ouest de l'Espagne. Et, si la description de Pline se rapporte à l'époque romaine. il semble que cette tradition minière remonte en fait à l'âge du fer.
DES MINES GAULOISES À NOUVEAU EXPLOITÉES!
En France. la récente prospection menée aux alentours de Cambo-les-Bains, au Pays basque, a permis d'identifier près d'une cinquantaine de sites exploités selon une technique basée sur la force hydraulique : les torrents étaient détournés et retenus dans des bassins au sommet des montagnes aurifères. L'eau lâchée sur les pentes se chargeait d'alluvions aurifères, torrents de boue canalisés vers la vallée. Les particules d'or étaient piégées dans les bruyères tapissant le fond des canaux. Il suffisait de les brûler pour récupérer l'or dans les cendres. Dans la région de Cambo-les-Bains, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a constaté la présence d'or natif en paillettes dans le sol et de ruisseaux aurifères.
Ardennes, Pays de la Loire, Auvergne. Limousin. Aquitaine, Pyrénées renferment également de l'or alluvionnaire ou pris dans les roches. sans compter celui charrié par les cours d'eau. En Limousin, quelque 230 mines d'or antiques ont déjà été inventoriées! Prospection au sol, prospection aérienne, photo-interprétation (étude de la couverture photographique aérienne au 1/10000, réalisée par l'institut géographique national), recherches dans les archives (études des ingénieurs miniers du siècle dernier et du début du XXe siècle, mentions de trouvailles... ), étude des noms de lieux du cadastre du XIXe siècle ont permis de localiser des sites miniers.
L'art de la galerie
Dans les exploitations minières profondes, sous les nappes phréatiques, il faut évacuer l'eau. Les Celtes savaient le faire, grâce à des galeries semblables à celle-ci.
Dans le cadre de ces recherches, menées par Béatrice Cauuet, de l'unité toulousaine d'archéologie et d'histoire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), une dizaine de sites ont fait l'objet d'investigations. Cinq d'entre eux ont été fouillés avant la reprise de l'exploitation du gisement par la Société des mines du Bourneix (partenaire de l'opération archéologique), afin d'étudier les vestiges avant leur totale destruction. Ce patrimoine est si important que le service régional de l'archéologie du Limousin prévoit de protéger certaines mines d'or gauloises en tant que monuments historiques, et de créer un musée de l'or.
MINEURS DEPUIS DES MILLÉNAIRES
Les plus anciens objets en or retrouvés en France sont des petites perles présentes dans des sépultures du Néolithique (de 4000 à 2000 av. J.-C.). Période où semble se développer l'activité minière, axée sur la recherche de silex, puis de cuivre. A cette époque, l'exploitation de l'or devait se limiter au ramassage en rivière.
Au cours de l'âge du bronze (de 1800 à 800 av. J.-C.), bijoux, vaisselle et lingots d'or se retrouvent de plus en plus fréquemment dans les tombes et dans les "dépôts" (caches ou offrandes d'objets précieux), comme l'attestent les sites connus. Ce qui lasse penser qu'on récolte des quantités d'or significatives, et que la maîtrise du travail minier et de la métallurgie s'accroît. Après avoir recherché activement l'étain nécessaire à la fabrication du bronze, les hommes s'intéressent au fer, dont l'usage commence en France à l'arrivée des Celtes.
Des travaux de Titan
Les Gaulois exploitaient les alluvions aurifères grâce à la force hydraulique, qui ravinait les montagnes: on en voit encore les traces à Itxassou (photo ci-contre), dans les Pyrénées. Les torrents étaient détournés dans des bassins au sommet des montagnes (1). Lâchée sur le versant, l'eau dévalait les pentes en se chargeant de sédiments aurifères. Ces torrents de boue aurifère étaient canalisés vers la vallée (2). L'opération était réitérée jusqu'à l'exploitation complète du versant (3) et (4).
Les populations de l'âge du fer (de 800 av. J.-C. à la conquête romaine) ont donc plusieurs millénaires de pratiques minières derrière elles. Elles possèdent non seulement une connaissance empirique qui leur permet de repérer les terrains minéralisés (l'or, sous forme d'infimes particules. est le plus souvent invisible à l'exil nu) mais aussi des techniques d'extraction performantes, rodées, adaptées à la topographie et à la nature des gisements.
La prospection archéologique en Limousin a permis de le constater : tous les Gisements d'or affleurant, même les plus minimes, ont été repérés et exploités à l'âge du fer! Quatre sites ont été méthodiquement exploités dès le V° siècle avant notre ère. Les chercheurs d'or ont d'abord travaillé à ciel ouvert : en suivant le filon au plus près, ils exploitaient la roche en carrière, des gradins facilitant la remontée du minerai. Choix judicieux. car, si le quartz aurifère est très dur, les terrains "encaissants" (environnants). très érodés, sont friables sur 10 m de profondeur. Les filons aurifères peuvent ainsi être aisément dégagés et attaqués. En outre, c'est la plus sûre façon de récupérer le précieux minerai lorsque les filons se réduisent à des veinules disséminées dans l'encaissant.
Plus par habitude que par certitude, on disait que les Gaulois, faute de moyens techniques, n'avaient pu exploiter que superficiellement les gisements. Béatrice Cauuet et son équipe ont au contraire montré, à partir de quatre sites limousins (Les Fouilloux, Cros-Gallet Sud, La Fagassière, Lauriéras), que les Gaulois ont pratiqué, dès la fin du IIIème siècle av. J.-C., une extraction souterraine sous le niveau de la nappe phréatique, élaborant des techniques de soutènement des galeries et d'exhaure (évacuation des eaux) qui ne doivent rien aux Romains.
Traces d'exploitation
Non perturbées par des travaux ultérieurs, ces mines sont dans l'état de leur abandon à la fin du 1er siècle av. J.-C. L'eau qui a rapidement noyé les galeries a permis l'excellente conservation du système complexe de boisage qui soutenait les parois. Aux Fouilloux. le fond de la mine se prolonge par des galeries souterraines descendant obliquement, selon l'inclinaison des filons, jusqu'à 30 m de profondeur - d'où de sérieux dangers d'effondrement du plafond des galeries. Des étais diagonaux étaient encastrés. à un bout, dans des cavités creusées dans la roche et, à l'autre, fixés par un système de tenons et de mortaises dans d'épaisses planches. Cet ensemble maintenait en force des planches transversales contre le toit du filon. Les espaces vides entre ces planches et la roche étaient comblées par des fougères compactées pour éviter le délitage des parois.
L'étude dendrochronologique des boisages, effectuée par Béatrice Szepertyski, du Laboratoire d'analyse et d'expertise, à Bordeaux. a montré que le plein essor de cette activité se situe de la fin du IIeme siècle au début du Ier siècle av. J.-C. Elle a aussi mis en évidence l'emploi d'étais et l'échelonnement de leur mise en place. ce qui permettra d'évaluer le rythme d'avancement des chantiers miniers. L'eau envahissant les travaux souterrains était évacuée par des galeries en pente légère vers l'extérieur de la mine. Elles étaient creusées à partir des vallons proches pour déboucher dans les galeries d'exploitation. Dans les travaux souterrains profonds, l'eau était pompée puis dirigée par des canalisations de bois vers les galeries d'exhaure. Des vis d'Archimède (vis sans fin logées dans de longs cylindres de bois. actionnées à la force des bras) ont été découvertes dans des mines d'Espagne et de France. Bien qu'elles datent de périodes plus récentes, on suppose que ce système existait déjà dans les mines gauloises.
Des carats gaulois
Les Gaulois savaient évaluer la teneur en or des objets, en les frottant sur une "pierre de touche" (ici, une pierre en lydienne abrasive retrouvée dans la mine des Fouilloux). Ils comparaient les marques ainsi laissées à des étalons ou observaient leur réaction en présence d'acides.
Paillettes en fusion
L'or était fondu et affiné dans des petits creusets, comme le prouvent les billes d'or résiduel visibles au binoculaire sur leurs parois. Celui-ci (à droite) a été trouvé dans la mine d'or gauloise de Cros-Gallet, en Limousin (IV-III siècles av. J.-C.).
La roche était attaquée au pic de fer ou à la pointerolle frappée par une massette : les marques en sont visibles sur les parois. Les roches plus dures, plus profondes, étaient "étonnées", c'est-à-dire éclatées au feu: les traces de feu sur les parois du fond des mines et le profil arrondi des galeries en sont la preuve.
Le minerai était traité au bord de la mine. Concassé, grillé, broyé. lavé, il livrait la poudre d'or, fondue immédiatement en lingots. Des calculs sont en cours pour quantifier la production - importante, au vu des travaux miniers. Or, les tombes des Lémovices - peuple du Limousin - sont exceptionnellement dépourvues d'objets en or, et leurs monnaies sont en argent! Tandis que leurs voisins, les nombreux peuples armoricains (qui exploitaient eux aussi l'argent), possédaient un monnayage d'or abondant et un mobilier funéraire plus riche...
A qui profitait donc l'or ? Quelles autres richesses en tirait-on ? Les archéologues miniers étendent leur étude au contexte économique et social, recherchant les habitats et les nécropoles associées aux mines pour comprendre qui étaient les mineurs et définir le rapport entre centres d'extraction et centres de pouvoir. Jean-Noël Barrandon, spécialiste des méthodes nucléaires appliquées à l'archéologie, tente de retracer la circulation du métal précieux en recherchant l'origine de l'or à partir des objets. Tâche difficile, car ils sont souvent le produit de refontes et de mélanges.
Chercheurs d'or
LE TRÉSOR DE LA PRINCESSE CELTE
Les Gaulois savaient travailler l'or avec précision, le purifier ou, au contraire. l'altérer par divers alliages, pour faire varier son poids, sa couleur, sa résistance, etc., selon l'usage auquel il était destiné. Les orfèvres gaulois, toujours en quête d'originalité, ont adopté les techniques et les motifs des peuples avec lesquels ils commerçaient - les Étrusques, notamment - pour enrichir leur extraordinaire inventivité. Ils combinaient toutes sortes de procédés (soudure. brasure, moulage, poinçonnage, filigrane) pour obtenir des effets décoratifs multiples. Quant aux monnayeurs, s'ils ont d'abord copié le statère d'or de Philippe de Macédoine. étalon monétaire prestigieux largement répandu, ils ont très vite donné libre cours à leur créativité.
Pièces en or
Les objets d'or retrouvés dans les tombes, les caches et les lieux de culte étaient de facture locale, au contraire d'autres objets de luxe. Aucun bijou d'importation n'a été découvert en Gaule : on voit la preuve d'un lien identitaire très fort entre les Celtes et leurs bijoux d'or.
Cheval de Vix
L'or était réservé aux puissants, aux guerriers, aux dieux. La princesse celte enterrée à Vix (Côte-d'Or) au tout début du Ve siècle av. J.-C., avec de fastueux objets. portait un torque de 480 g d'or fin. Aussi exceptionnel, le torque d'or de Mailly-le-Camp (Aube) est gravé sur sa face interne du nom du peuple de la région d'Agen, les Nitiobroges. Pour Christian Goudineau, professeur au Collège de France, il s'agit d'une dédicace. Le torque aurait fait partie d'un trésor de sanctuaire, rassemblant les dons de peuples même fort éloignés (Agen est à plus de 600 km de Mailly-le-Camp).
Le torque de Mailly-le-Camp (Aube).
Le fameux trésor de Toulouse, connu par les textes antiques, composé de lingots d'or et d'argent et d'objets précieux récoltés par les Romains dans les lacs sacrés et les sanctuaires de la région, aurait pesé plusieurs centaines de tonnes! Aucune découverte archéologique n'atteint de telles proportions.
Ces offrandes fabuleuses n'attiraient pas la convoitise des Gaulois, respectueux des enceintes sacrées, mais elles n'échappèrent pas à l'avidité des Romains, qui pillèrent l'or celte. Cependant, les mines du Limousin périclitèrent juste après la conquête. Cet abandon serait dû à un relatif appauvrissement des réserves aurifères, mais, surtout, à une volonté politique, à une autre conception du travail et de l'économie, privilégiant l'extraction massive dans un nombre réduit de sites.
Catherine Chauveau
(1) Terme culturel qui s'applique à de nombreux peuples d'Europe occidentale dont les Gaulois.
(2) Exploitation artisanale d'alluvions aurifères.
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