Le druide Diviciac, traître ou héros ?

Par Violaine Vanoyeke

tiré de Historia N°518, février 1990

Combat entre un romain et un gaulois - bas relief - musée du Louvres.jpg
Combat entre un romain et un gaulois - bas relief - musée du Louvres.jpg

Combat entre un gaulois et un romain bas relief, musée du Louvre.
Cette représentation est l'une des rares véritablement spécifique du soldat gaulois dont l'épée souple et longue ne mesure pas moins de 80 centimètres.
César venu à l'appel des Eduens conquit la Gaule à partir de 61 avant J.-C.


Le druide est inséparable de l'histoire de la Gaule; il fait partie de la société. Le druide Diviciac séjourna à Rome dans les années 60-59 av. J.-C. Pénétré de culture romaine, il fut l'ami de César. Parce qu'il réclama son aide dans un moment critique, il fut taxé de traître à la patrie et de « collaborateur ». Si le druide Diviciac n'avait pas été trouver César en l'an 61 av. J.-C., il n'y aurait peut-être pas eu de guerre des Gaules nous dit Violaine Vanoyeke, professeur de Lettres et historienne qui s'est passionnée pour cette personnalité controversée.

61 avant J.-C.

Au moment où la Gaule est ébranlée par des querelles intestines, où les tribus s'entretuent, échangent des otages, où le pays est dépourvu d'unité politique, survient en Gaule une menace plus terrible encore : celle de l'invasion germanique. Plus de trois siècles ont passé depuis la conquête de l'Italie par les Celtes et la prise de Rome par les Gaulois. Entre-temps, la Gaule cisalpine est devenue province romaine (191 av. J.C.) tout comme la Gaule du sud-est (118 av. J.C.) que César appelle « la Province » et dans laquelle Massilia (Marseille) est la ville la plus romanisée des Gaules.
Entre-temps aussi, les Cimbres et les Teutons ont envahi la Gaule (109-103) et les Gaulois se souviennent avec douleur de ces géants blonds qui rasent tout sur leur passage, de leur cruauté et de l'éclat insoutenable de leurs regards, répandant une telle frayeur dans les armées gauloises que les esprits et les coeurs en sont restés à jamais bouleversés. Le risque d'une nouvelle invasion germanique crée une véritable terreur dans la cité des Eduens, sise sur le Mont Beuvray, qui est alors la principale cité gauloise avec celle des Arvernes et des Séquanes. Diviciac en est le druide mais il est aussi le druide de tous les druides gaulois, chargé, à ce titre, de maintenir la paix dans son pays. Devant l'impétuosité et l'indiscipline des Gaulois, sa tâche n'est guère facile. C'est pourtant vers lui que tous les Gaulois se tournent naturellement en ce mois d'octobre 61.
Diviciac est l'unique druide dont nous connaissions l'existence historique. Pendant les vingt premières années de sa vie, il a été formé à dure école. Ses maîtres lui ont appris l'origine et la grandeur du monde, l'astrologie, la poésie, les relations que les dieux entretiennent avec les humains, les mystères de l'au-delà, l'immortalité de l'âme, la réincarnation, la puissance de l'eau qui l'emporte sur le feu et qui permet le passage dans l'Autre Monde. La formation druidique était pleine d'embûches et huit postulants sur cent parvenaient au terme de leurs études.
Après ces vingt années de formation et après avoir reçu une éducation physique et militaire, Diviciac fut digne de perpétuer la tradition druidique. La prédiction et la divination n'eurent bientôt plus de secret pour lui, pas plus que les trente-six constellations qui, selon les Gaulois, régissaient le temps et éclairaient la conscience des hommes. On connaît la crainte des Celtes que le ciel ne leur tombe un jour sur la tête. Cette crainte semble trouver son explication dans l'importance de ces constellations.
Comme les autres druides, Diviciac partit parfaire ses connaissances dans l'île d'Ogyrie « à cinq jours de navigation de la Bretagne », une île qui avait la réputation d'être « d'une douceur charmante », où les dieux conversaient avec les humains, où « les oiseaux apportaient au dieu l'ambroisie, où Saturne lui-même demeurait dans une grotte profonde et dormait sous un rocher brillant comme de l'or, où les démons qui l'entouraient possédaient le don de prophétie », où le dieu des Druides, Dis Pater, faisait des révélations en songe à ses disciples.
Quand il fut de retour, il enseigna, à son tour, aux jeunes Eduens les doctrines druidiques et la philosophie de Pythagore comme on les lui avait apprises, c'est-à-dire oralement, celles-ci devant demeurer secrètes (selon les druides, cette transmission orale permettait aux connaissances d'évoluer et de rajeunir).

Le druide et l'administration

Mais, en tant que druide, Diviciac n'avait, pas seulement des fonctions didactiques il exerçait également un rôle religieux, politique, militaire et juridique. Dès l'année 61, il partage le pouvoir avec Lise, le vergobret (magistrat suprême) de la cité, qu'il fait élire. Bien qu'il soit spirituellement inférieur à lui, Lise administre la société, maintient l'équilibre social et garantit la prospérité et l'intégrité territoriale du royaume, tout en agissant sur les conseils de Diviciac, « intermédiaire entre les dieux et les hommes ». C'est précisément Lise qui vient le trouver en ce mois d'octobre 61, et on peut se le représenter adjurant le druide :
- Par Teutatès, les Séquanes se sont adjoint les Germains et leur chef Arioviste. Ils nous attaquent sans relâche. Notre noblesse périt ; nos clients passent à l'ennemi. Nos fils sont donnés en otage. De par sa position, notre cité du milieu » a une importance mystique. Tu ne peux, toi, le druide des druides, y être indifférent. Or, toi seul peux nous sauver, toi seul peux sauver la cité de la ruine !
Après avoir sacrifié aux dieux, Diviciac réunit les druides des autres cités dans la forêt des Carnutes. Tous tombèrent d'accord : Diviciac devait partir à Rome pour tenter de convaincre les Romains de les aider contre les Germains et les Séquanes. C'était leur dernière chance.
Casques gaulois en bronze - musée de Saint Germain en Laye.jpg
Casques gaulois en bronze - musée de Saint Germain en Laye.jpg

Casques gaulois en bronze conservés au musée de Saint Germain en Laye

Diviciac en ambassade

Dès son arrivée à Rome, le druide exposa à Jules César la situation critique dans laquelle se trouvait le peuple éduen, et lui rappela le pacte conclu autrefois par lequel les Eduens étaient devenus « consanguins et frères du peuple romain ». César accepta de l'aider à plaider sa cause auprès du Sénat. Diviciac crut à cet instant la partie gagnée mais il eut beau supplier Ogmios, le dieu de la persuasion, de l'aider, il ne parvint pas à convaincre les sénateurs romains. Aussi quitta-t-il Rome certes satisfait d'avoir acquis la confiance et l'amitié de Jules César mais sans l'appui des Romains.
Diviciac avait eu le nez fin de choisir Jules César comme ami, car si les Eduens durent encore affronter seuls les assauts des Séquanes pendant plus d'un an, le druide pouvait tout espérer d'un homme qui était devenu entre-temps gouverneur de la Gaule cisalpine, de la « Province » et de l'Illyrie pour cinq ans avec trois légions, succédant dans cette fonction à Quintus Metellus Celer. Jusqu'en janvier 58, César avait connu un parcours sans faille. Consul populaire et ambitieux, cet homme de quarante-trois ans, cultivé et fin, auteur d'une étude d'astronomie et d'une grammaire fort érudite, faisait l'admiration de Diviciac qui s'attirait ainsi bien des inimitiés car tous les Eduens n'étaient pas aussi bien disposés que lui à l'égard des Romains. « César est un orgueilleux qui ne pense qu'à conquérir la Gaule indépendante et à voler nos biens ! » « Diviciac est un traître s'il accepte l'amitié de cet efféminé que l'on compare à Sémiramis et qui est tout juste bon à s'épiler ! » proclamaient certains Eduens. On comptait au nombre de ces détracteurs Dumnorix, le propre frère de Diviciac.

La cité des castors

La fête d'Imbolc et la lactation des brebis avaient marqué la fin de l'hiver 59 La pâle lueur de l'aurore filtrait à peine par l'étroite fenêtre haut nichée de la hutte du druide. On n'entendait que le bois des poteaux soutenant la toiture craquer clans la forêt qui couvrait le Mont Beuvray et de délicates gouttes de pluie s'étouffer dans le chaume du toit. De tristes brumes grisâtres voilaient encore la ville fortifiée de Bibracte, « la cité des castors ». Aux alentours, les collines moutonneuses d'arbustes et les champs d'avoine et de froment aux formes triangulaires jouxtant des terres en jachère amendées avec de la chaux étaient encore déserts. De quelques huttes rondes aux murs de bois, de paille et d'argile crue s'échappait seulement une dense fumée noirâtre. Autour du plus grand domaine étalé au milieu des champs et formé de deux enclos insérés l'un dans l'autre, s'activait déjà un groupe de paysans. Si l'on suivait ainsi de Bibracte, l'activité des paysans du plateau, c'est parce que la capitale des Eduens était l'une des villes les plus haut perchées de Gaule. Mais au fur et à mesure que les nuées se dissipèrent, apparut un bien désolant spectacle : les champs éduens avaient été pillés pendant le nuit.

Les Helvètes attaquent

Diviciac fut réveillé par les cris des Eduennes qui montaient précipitamment vers l'oppidum pour y trouver refuge. Le druide sortit aussitôt de sa cabane et arrêta au passage l'une de ces femmes apeurées. « Les Helvètes viennent de ravager nos champs. » lui cria-t-elle. Diviciac la fit asseoir près du foyer central composé d'une simple sole d'argile. Autour d'eux, de petites statues en bronze, la somptuosité des draperies tendues le long des murs, la beauté (les candélabres, les tapis colorés, les trépieds, les coffres plaqués d'ivoire sculpté, les médaillons de terre cuite, présents de la noblesse ou de riches Romains, témoignaient de la puissance de Diviciac au sein de la société éduenne. Au dessus d'eux, dans un grenier, séchaient de vieilles récoltes d'aulx, d'oignons et d'herbes. L'Eduenne lui narra la cruauté de, Helvètes : « Ils ont tué les hommes, violé les femmes, incendié nos fermes. »
Ainsi donc, après avoir affronté les Séquanes, les Eduens devraient maintenant combattre les Helvètes ! Diviciac envoya un messager aux nouvelles. Celui-ci lui confirma les faits. Orgétorix, le chef des Helvètes, poussé par le désir d'être roi des Gaules, avait formé une conjuration de la noblesse et persuadé ses concitoyens de sortir de leur pays avec leur armée : « Quoi de plus facile, leur avait-il dit, puisque les Helvètes dépassent en courage tous les Celtes, que d'étendre leur puissance sur toute la Gaule ? » Braves et assoiffés de gloire militaire, les Helvètes avaient donc décidé de quitter leur territoire afin de s'établir dans les riches campagnes de l'Ouest.
Pendant deux ans, ils avaient mis au point leurs préparatifs en achetant autant de bêtes de somme et de chariots que possible, en ensemençant toutes leurs terres cultivables afin de s'assurer du blé dans leur marche, en consolidant avec les peuples voisins leurs rapports d'amitié et de paix. Orgétorix avait su manoeuvrer habilement pour y parvenir, et s'assurer cent mille hommes à sa dévotion. Ce que te messager ne put rapporter à Diviciac (parce qu'il ne le savait pas) c'est que le chef des Séquanes. Castacus, et le propre frère du druide, Dumnorix, avaient fait alliance avec les Helvètes dans l'espoir de partager la royauté en Gaule. Or, vouloir rétablir la royauté en Gaule était un crime inexpiable depuis que le pouvoir était détenu par le sénat et les magistrats. A l'exception d'Ollovicon chez les Nitiobroges et de Moritasgus chez les Sénones, la royauté était un souvenir du passé. Orgétorix savait qu'il trouverait en Dumnorix un solide allié qui possédait une nombreuse clientèle d'alliés ou clients des Eduens, et qui entretenait à ses frais une troupe de cavaliers. Aussi lui donna-t-il sa fille en mariage.
- Avant de quitter leur pays, les Helvètes ont brûlé toutes leurs villes, leurs quatre cents villages et leurs maisons, rapporta le messager. Ils se sont ainsi ôtés l'espoir de retourner chez eux. Dès que César apprit leur intention de traverser la Province, il gagna à marches forcées la Gaule ultérieure en huit nuits et leva autant de soldats que possible. Puis il coupa le pont et fit élever du lac Léman au Jura un mur de dix-neuf mille pas de longueur. Les Helvètes empruntèrent alors la voie passant entre le Jura et le Rhône et traversèrent les terres des Séquanes.
On raconte aussi qu'Orgétorix a été châtié par son propre peuple parce qu'il souhaitait devenir roi des Gaules. Son fils Cingétorix a pris le commandement des Helvètes. Ils sont déjà en route pour le pays des Ambarres.

Diviciac appelle au secours

Diviciac décida aussitôt d'envoyer un message à César. Après avoir étalé son papyrus sur la table et trempé dans l'encre son calame, il écrivit en latin, jugeant que le Romain n'y serait sans doute pas insensible car il n'aurait ainsi nul besoin d'interprète « Les Helvètes sont arrivés sur nos terres. Ils ont ravagé nos champs. Nous ne pouvons nous défendre seuls. Nous avons trop bien mérité du peuple romain pour tolérer de voir nos champs dévastés sous les yeux même de notre armée, les enfants de nos paysans emmenés en esclavage et nos places prises d'assaut. Nos amis les Ambarres vont bientôt subir les violences de l'ennemi. Il ne reste plus aux Allobroges que le sol de leurs champs. Les Helvètes ont projeté de gagner le territoire des Santons. Nous implorons ton aide. En échange de quoi, nous te livrerons du blé. Je t'enverrai également la cavalerie éduenne. »
Arc de triomphe de Carpentras (Vaucluse) - Un celte et un germain enchaines.jpg
Arc de triomphe de Carpentras (Vaucluse) - Un celte et un germain enchaines.jpg

Prisonniers enchaînés représentés sur l'arc de triomphe de Carpentras (Vaucluse).
Ce sont un Celte et Germain contemporains des peuples qui luttaient contre les Eduens de Diviciac.


L'aide de César

César reçut le message et la visite de Diviciac (accompagné de Lise) à Lugdunum (Lyon). Il avait établi son camp sur la colline de Fourvières. De ce poste élevé, il surveillait l'avance des Helvètes. Ceux-ci avaient bien tenté de traverser la Saône mais César en avait tué un grand nombre appartenant au canton des Tigurins, vengeant ainsi l'ancienne injure faite à sa famille puisque l'aïeul de son beau-père avait autrefois été tué par les Tigurins. Quand les Helvètes réalisèrent que César avait accompli en un jour un passage qu'ils avaient 'eu une peine considérable à effectuer en vingt, ils lui envoyèrent des ambassadeurs. Peine perdue : César ne fléchit pas devant leurs menaces. Il prit au contraire le parti de Diviciac et de Lise.
Dès le lendemain, Diviciac et César décidèrent de poursuivre les Helvètes. Les cavaliers éduens conduits par Dumnorix les avaient rejoints et avaient ainsi grossi la cavalerie que César avait levée dans l'ensemble de la Province. César envoyait chaque jour des messagers à Bibracte et pressait les Eduens de lui livrer le blé promis, ne pouvant utiliser celui qu'il avait fait remonter sur des navires par la Saône parce que les Helvètes s'en étaient écartés et qu'il ne voulait pas perdre le contact.
Le quinzième jour, les cavaliers éduens poursuivirent l'arrière-garde helvète avec trop d'ardeur si bien qu'ils engagèrent la bataille dans un lieu désavantageux. Non seulement un petit nombre de Romains resta sur le terrain mais Dumnorix ordonna à la cavalerie de se retirer au plus fort de la bataille. C'en était trop ! César s'entretint aussitôt avec Lise et Diviciac. Lise balbutia: « Certains Eduens tiennent chez nous des propos séditieux. Ils détournent le peuple d'apporter le blé promis. S'ils ne sont plus les maîtres de la Gaule, affirment-ils, ils préfèrent du moins la domination des Celtes à celle des Romains... » Diviciac plaida longuement pour son frère, et César pardonna à Dumnorix par amitié pour le druide.
Quand les Helvètes parvinrent à vingt et un mille pas de Bibracte, César abandonna la poursuite. Contre toute attente, les Helvètes firent alors demi-tour et poursuivirent les Romains. César s'organisa et disposa ses troupes sur la colline de Montmort. Diviciac se tenait auprès de lui. Il avait troqué sa robe blanche contre des braies et une tunique serrée à la taille par un ceinturon. Il portait une épée dans un fourreau d'argent aux motifs en spirales. La garde en était ciselée d'or et étincelait de cabochons d'émaux et de pierres précieuses. La lame était en feuille de sauge à deux tranchants ébréchés. Son bouclier était décoré de corail et incrusté d'émail. Avec ses boutons et ses fibules en forme de cerfs sur sa fine cotte de maille, son casque en bronze plaqué de feuilles d'or, Diviciac semblait tout droit sorti d'un conte.
Le combat dura jusqu'à la nuit. Pas un instant, les Helvètes ne tournèrent le dos. Ils se réfugièrent finalement derrière leurs chariots et cent trente mille d'entre eux purent gagner les terres des Lingons. César menaça aussitôt les Lingons de les envahir s'ils leur portaient assistance. Et comme l'assemblée annuelle des chefs gaulois devait avoir lieu à Bibracte, Diviciac invita César à y assister.

La menace germanique

Lors de l'assemblée générale de juin 58, on parla des réquisitions des intendants en hommes, en chevaux et en vivres, trop lourdes à supporter, des pillages révoltants des marchands italiens, des peuples voisins qui volaient les troupeaux éduens, de la sécheresse qui réduisait les productions de céréales et qui ne tarderait pas à faire crever le bétail. Bien que César et Diviciac aient été accueillis en triomphateurs, d'aucuns se révoltèrent encore contre ce Romain qui s'immisçait maintenant dans les affaires gauloises.
On le disait cruel envers les prisonniers. On racontait qu'il s'enrichissait honteusement en rapportant à Rome de l'or, de l'argent des Alpes, du fer du Berry et du Périgord, du corail des Îles d'Hyères qui avait, selon les Celtes, le pouvoir d'amadouer le sort. Il avait même transporté dans la Province de la vaisselle en émail bleu égyptien, des pierres - silex, granit, porphyre, grès, basalte, gypse, marbre - couvrant ainsi ses gitons de bijoux, n'épargnant pour ce faire ni les temples ni les enceintes sacrées. Diviciac n'eut guère le temps d'accorder du crédit à ces plaintes. Dès son retour à Bibracte, il fut occupé par une toute autre urgence.
Jules Cesar.jpg
Jules Cesar.jpg



Les Séquanes regrettaient l'alliance qu'ils avaient conclue avec les Germains qui, menés par leur chef Arioviste, occupaient le tiers de leur territoire et leur ordonnaient maintenant de quitter leur ville pour y loger vingt-quatre mille Hérudes. César jugea périlleux pour Rome de laisser les Germains passer le Rhin. Une fois maîtres de la Gaule, n'auraient-ils pas l'idée de marcher sur Rome? Comme Arioviste détenait des otages éduens, Diviciac jugea de l'intérêt de tous de conclure une nouvelle alliance avec le Romain en se faisant le porte-parole des Séquanes mais aussi de tous les Gaulois : « Arioviste est un homme barbare, emporté. Sans ton aide, il ne nous reste plus qu'à quitter notre pays comme les Helvètes... »
César envoya aussitôt un message à Arioviste. S'ensuivirent entre eux de longs échanges de courriers dans lesquels Arioviste alléguait te droit de la guerre qui permettait aux vainqueurs de disposer à leur gré des vaincus. « Si César venait l'attaquer, il se frotterait à la valeur de soldats invaincus, experts dans le maniement des armes, qui, depuis quatorze ans, n'avaient pas couché sous un toit. » Comble d'audace : les Hérudes se mirent aussi à dévaster les champs éduens. Diviciac conseilla à César d'aller au-devant d'Arioviste. Il lui traça même le parcours à suivre et, devant la crainte que; les Romains éprouvaient à affronter les Germains, on ne fit jamais autant sceller de testaments à Bibracte que jusqu'à leur départ. Mais les Hérudes furent chassés. César s'empara de Vesontio (Besançon) et combattit les Germains avec succès. Pour la seconde fois et sur la demande expresse de Diviciac, il avait rétabli la paix en Gaule.

Un allié dangereux

Au début de l'hiver 58. César se retira dans la Gaule citérieure. Diviciac avait repris son enseignement, quand des Belges se liguèrent contre les Romains, à une époque de l'année où personne ne s'y attendait. Les Belges supportaient difficilement que l'armée romaine hivernât en Gaule ; les plus puissants arrivaient moins facilement, sous la domination romaine à soudoyer les hommes qui assuraient leur pouvoir. Quand la révolte éclata, César confia aussitôt à Diviciac la mission de marcher avec les Eduens sur les Bellovaques pendant que lui-même combattait les Suessions. Diviciac n'eut pas à combattre effrayés par la puissance de César, les Bellovaques se réfugièrent dans la place de Bratuspantium sans prendre les armes. Diviciac parla en leur faveur et obtint leur grâce car « s'il agissait ainsi, dit-il à César, il augmenterait le crédit des Eduens auprès de tous les Belges qui leur fournissaient des troupes et des ressources en cas de guerre. » En revanche, près de la place Noviodunum, César fit preuve d'une atroce cruauté face aux Suessions.
En effet, lorsque les Gaulois virent les machines de siège déployées par les Romains, ils se rendirent sans attendre. Mais César n'accepta pas leur capitulation. Il les écrasa, au contraire, jusqu'au dernier. Diviciac comprit alors quel danger il était devenu. Il revit la manière dont il torturait les prisonniers, sa soif de sang et de victoires, une soif qui ne serait pas épanchée avant qu'il n'ait conquis tout le territoire gaulois. Et c'était lui, Diviciac, lui le druide, qui avait réclamé son aide !...Mais il était trop tard pour revenir en arrière.
La victoire de César coïncida avec la réunion des druides dans la forêt des Carnutes. Elle avait lieu chaque année, le 1er jour de Samonios (novembre) qui marquait le début de l'année nouvelle, au 6-e jour de la lune. La population de Cenabum avait décoré ses huttes de gui et de bouquets de bruyère. Les artisans qui ne travaillaient pas pendant la période des fêtes comme pendant les cent vingt jours mat de l'année avaient préparé leurs étalages. Alors arrivèrent les druides, les hauts magistrats et les chevaliers. Diviciac gagna tout de suite l'est de Cenabum abritant « la stèle sacrée située au centre de la Celtie » et fit aménager sa tente auprès de celle des autres druides.
Le lendemain soir eut lieu le défilé traditionnel de musiciens, de magistrats, de bardes, de prêtresses, de devins et de druides « l'emportant sur les précédents par leur génie». La foule les accompagna jusqu'à un if au feuillage vert où avaient été déposées des pommes, fruits de l'au-delà. Diviciac sacrifia un taureau aux dieux Lugos et Sucellos, cueillit du selago et du samolus, talismans contre les maladies, et coupa le gui, la plante de l'Autre Monde « qui guérit tout ». Puis le procès de César commença.
Chaque druide donna son avis sur l'alliance romaine. La majorité des Gaulois était manifestement hostile à César. Diviciac en tira les conclusions qui s'imposaient. Son frère n'avait-il pas eu raison de lui conseiller autrefois la prudence ?
Dieu Mercure de Lezoux.jpg
Dieu Mercure de Lezoux.jpg

Représentation d'un dieu gaulois apparenté au Mercure des romains,
le Mercure de Lezoux est celui qui est le plus honoré car c'est le dieu qui guide le voyageur et protège le commerce.
Musée de Saint germain en Laye.


La disparition de Diviciac

Pendant deux ans, César poursuivit ses conquêtes. Il l'emporta sur les « peuples de l'Océan » et en Aquitaine, résolut de partir pour la Bretagne.
Après une première approche concluante, il revint sur le continent pour préparer sa flotte. Mais il ne comptait pas partir sans embarquer avec lui ses ennemis les plus redoutables, au nombre desquels figurait Dumnorix. Aussi celui-ci reçut-il l'ordre de le rejoindre au Port Itius (Boulogne).
Tout d'abord réticent, alléguant son manque d'habitude de la navigation, sa crainte de la mer, Dumnorix accepta sur le conseil de Diviciac qui l'accompagna. Quand ils parvinrent tous deux auprès de César, Dumnorix comprit que César cherchait à dépouiller la Gaule de toute sa noblesse et qu'il l'embarquait dans l'intention de la faire périr en Bretagne parce qu'il n'osait la tuer sous les yeux même des Gaulois. Aussi décida-t-il de fuir la nuit même avec Diviciac et de retourner à Bibracte.
- Qu'on le ramène ! hurla César dès qu'il l'apprit. Vivant ou mort ! Voilà vingt-cinq jours que j'attends le vent Corus et le jour où il se lève et que nous pouvons embarquer Dumnorix entrave mes plans !
La cavalerie partit immédiatement à la poursuite des deux Gaulois. Quand elle les rattrapa, le centurion demanda à Dumnorix de se rendre.
« Jamais ! cria-t-il. Nous sommes libres et appartenons à un Etat libre ! » Alors le centurion donna l'ordre de le tuer. Diviciac mourut-il en même temps que son frère ? Tout le laisse supposer car nous ne trouvons plus trace de lui après ce printemps 54. Même César qui le citait volontiers n'y fait plus allusion dans La Guerre des Gaules. Ainsi semble donc périr le seul druide historique que nous connaissons. A moins qu'enveloppé d'un nuage, ü n'ait rejoint, selon la croyance des Anciens, les hautes sphères de l'immortalité...

VIOLAINE VANOYEKE


Dieu de Bouray - Musée de Saint Germain en Laye.jpg
Dieu de Bouray - Musée de Saint Germain en Laye




Bibliographie

Ouvrages anciens

- César, De Bello Gallico (éd. Selles Lettres)
- Plutarque, Vie de Jules César
- Cicéron, Epistulae ad Atticum, I, I9-ZU ; IV, 14-19 ; Epistulae ad familiares VII 9-18 ; Epistulae ad q. fratem, II, 11-14 ; III, I, 3, 8, 9 ; Oratio pro M. Fonteio
On trouve également quelques éléments intéressants sur la Guerre des Gaules chez Polyen, Lion Cassies, Frontîn, Flores, vellelus Paterculus et chez les auteurs cités en notas.

Ouvrages et articles plus récents

- Françoise Roux, Notes d'histoire des religions, XX, 53. Nouvelles recherches sur les druides (sur le rôle de Diviciac dans la politique éduenne) in Ogam, 22, 1970.
- Christian-J. Guyonvarc'h, Notes d'étymologie et de lexicographie gauloises et celtiques, VII, 23 Diviciac et Dumnorix, le « divin » et le « roi » in Ogam, 12, 1960.
- Nora K. Chadwick, The Druids, Londres.
- Camille Jullian, « Le druide Diviciac », Revue des études anciennes III 1901.
- E. Taubler, Bellum Helvetiaum, Stuttgart, 1924.
- H. D'Artois de Jubainville, Les druides et les dieux celtiques à formes d'animaux, Paris, 1908.
- T.D. Kendrick, The Druids, Londres, 1927.
- F. Roux et C. J. Guyonvarc'h, Les druides, Ouest France 1986.

Retour